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L'écritoire du baladin
L'écritoire du baladin
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24 janvier 2010

La centenaire des Flots Bleus

(Dans le patio de l’entrée de la maison pour personnes âgées « les Flots Bleus »)

Madame Barbier s’ennuie un peu dans sa maison pour personnes âgées. Alors, son déambulateur en avant, elle vient faire un tour vers l’entrée, à la recherche de nouvelle têtes. Madame Barbier aime bien bavarder, surtout quand c’est elle qui parle. C’est donc pour meubler le temps qu’elle engage la conversation avec un élégant jeune homme qui attend dans le patio. Jeune homme poli qui lui demande si elle connaît madame Dumont. D’un coup elle se lâche pour lui dire :

Vous n’allez pas me croire, on m’a dit que madame Dumont était morte cette nuit et qu’elle aurait été assassinée. Elle allait sur ses cent ans et sa santé s’était dégradée depuis quelques jours, sa mort n’a rien de surprenant, mais assassinée ! À cent ans, il y a plein d’autres façons de mourir. Personnellement je pense que, pour se faire remarquer, elle aura déguisé sa mort naturelle en assassinat. On m’a dit que la police était venue et que tout le personnel avait été interrogé, les chambres devraient être fouillées dans la journée. En tout cas, ils ne trouveront rien chez moi !

Ce qu’il y a de bizarre dans cette maison de retraite, c’est qu’il n’y a jamais de centenaire. Les hommes, c’est statistique, ne dépassent guère les quatre vingt dix ans. Mais les femmes atteignent souvent le siècle. Ici jamais. Je suis là depuis dix ans, j’ai observé et scrupuleusement noté l’âge des défuntes. Leur nombre forme un pic pendant leur centième année. J’en parlerais à la police. D’autres femmes ont peut-être été assassinées avant madame Dumont à la veille de leur centième anniversaire. Je vais avoir quatre vingt dix neuf ans et j’aimerais bien être la première centenaire de la résidence des Flots Bleus. Vous imaginez la une du journal, le député maire, le personnel et toute ma tribu en photo, les fleurs, les discours et le champagne. Plus j’y pense et plus je suis persuadée que c’est une résidente qui a fait le coup et qu’elle n’en n’est pas à son coup d’essai, en éliminant une à une ses concurrentes, elle prépare sa consécration.

Madame Barbier reste surprise et déconcertée lorsque le jeune homme la salue sans faire le moindre commentaire sur ce qu’elle vient de dire. Un peu vexée par cette forme d’impolitesse, elle pousse son déambulateur vers l’ascenseur et appuie sur la touche montée.

(Une semaine plus tard… dans la chambre de madame Barbier)

- Bonjour madame Barbier, est-ce que je peux vous déranger un moment ?

- Bonjour jeune homme, mais dites-moi qui êtes-vous ?

- Oh, excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Albert Cajou et je suis inspecteur à la gendarmerie du quartier.

- Que se passe-t-il ? Vous m’inquiétez !

- Vous avez su que madame Dumont est morte la semaine dernière. En fait nous ne savons pas si cette mort est une mort naturelle liée à son âge ou si cette mort a été aidée.

- Mon dieu, voulez-vous dire qu’elle a été assassinée ?

- C’est un peu l’avis de mon adjoint Jean Ducreux qui est aussi le fils du gendre de madame Dumont. Vous savez le monsieur avec qui vous avez bavardé le lendemain de la mort de madame Dumont.

- Oh, c’était le fils du gendre de madame Dumont, et il est de la police. Si, si j’avais su…

- Il n’était pas là en tant qu’inspecteur, mais il a bien retenu tout ce que vous lui avez dit.

- Mais qu’ai dit de particulier ?

- S’il m’a rapporté les choses correctement, il m’a dit qu’a votre avis, pour se faire remarquer, madame Dumont aurait déguisé sa mort naturelle en assassinat.

- J’ai dis ça, moi !

- Il semble bien que oui. Nous poursuivons notre enquête. Nous avons interrogé le personnel, vérifié quelques chambres…

- Vous avez trouvé quelque chose ?

- Non, pour le moment rien de probant. Mais au fait quel est votre âge madame Barbier ?

- Le mois prochain, je vais avoir quatre vingt dix neuf ans.

- Mais c’est un très bel âge ! Vous semblez en pleine forme.

- Oui, enfin si on veut ! Ce n’est pas tous les jours facile, mais globalement ça va.

- Êtes-vous la doyenne de cette maison ?

- Et oui, madame Dumont était plus âgée que moi de six mois, mais maintenant c’est moi la plus âgée.

- Alors vous allez être la première centenaire des « Flots Bleus » m’a dit le directeur de la maison.

- Ben oui !

- Vous allez faire une grande fête ?

- J’espère bien, mon gamin, je veux dire mon fils qui a soixante dix huit ans m’a dit que le député-maire et les journaux seraient là. Mais il faut que je tienne encore un an.

- Vous êtes très solide. Est-ce que cela vous fait plaisir d’être la « vedette » de la maison ?

- Oui, oui. Vous savez j’ai vécu toute ma vie en retrait. Alors à cent ans, si je suis mise un peu en avant, j’en serai très contente et très fière.

- Ce sera sans doute bien mérité pour vous. Mais, au fait, quel était votre métier ?

- Toute ma vie j’ai été infirmière et en plus, j’ai eu six enfants que j’ai élevés avec mon petit salaire. Mon mari est mort juste après la naissance du dernier.

- Oh, vous avez dû avoir une vie difficile et bien remplie. Mais de quoi est mort votre mari si jeune ?

- D’une embolie.

- Quelle tristesse ! Mais revenons à cette pauvre madame Dumont. Tiens, elle aussi est morte d’une embolie.

- Ah bon, je ne savais pas.

- C’est écrit et décrit d’une manière très précise dans le rapport du médecin légiste. C’est d’ailleurs grâce à vous qu’il y a eu enquête.

- Grâce à moi ?

- Oui dans votre discussion avec mon adjoint vous avez fait remarquer que ces dernières années, il y avait eu pas mal de décès de personnes dans leur quatre vingt dix neuvième année.

- Ah, j’ai dis ça !

- Mon adjoint m’a dit que vous notiez scrupuleusement tout cela.

- Oh oui, ce sont mes gribouillis dans mon petit carnet. C’est pour ne pas oublier les choses.

- Bien sûr. Dans les visites que mes collègues ont faites dans les chambres des résidents, il y a une chose qui nous a paru bizarre dans la votre.

- Oh, quoi donc ?

- Nous avons retrouvé une seringue avec une aiguille dans le tiroir de votre table de nuit.

- Oh ça ce n’est rien. Juste un souvenir de ma vie professionnelle, une sorte de fétiche.

- Ah la seringue… Symbole de l’infirmière !

- Je voudrai bien savoir combien j’ai fait de piqûres dans ma vie. Des dizaines par jour pendant quarante ans !

- Oui c’est beaucoup, considérable. Étiez-vous amie avec madame Dumont ?

- Amie, c’est beaucoup dire. Mais enfin, j’allais bavarder avec elle de temps en temps, mais ces derniers jours, elle devenait gaga.

- Une aide soignante m’a dit que vous y alliez tous les après-midi.

- Oui à peu près, je lui tenais compagnie, nous discutions de choses et d’autres.

- Est-ce que vous parliez avec elle de la première centenaire des « Flots Bleus » ?

- Ben, euh, oui nous en avons parlé.

- Est-ce qu’elle était contente d’être la première centenaire de l’établissement ?

- Oh, cette pimbêche, oh pardon, madame Dumont se faisait une gloriole d’être la première.

- Comme d’autres personnes avant elle ?

- Pareil ! Mais maintenant, c’est moi qui serais la première centenaire.

- Y a-t-il longtemps que vous n’avez pas fait de piqûre ?

- Oh, c'est-à-dire… Oui forcément longtemps. Pensez-vous, je suis à la retraite depuis près de trente cinq ans !

- Bien sûr. Selon vous, puisque vous êtes une spécialiste, quelle peut être la cause d’une embolie ?

- Ben faudrait demander à un médecin.

- Est-ce que ça peut être la présence d’air dans la circulation sanguine ?

- Heu, je ne sais pas trop. Mais je crois que ça se pourrait.

- En fait, c’est ce qu’affirme le médecin légiste. Il précise qu’une injection d’air à été faite à madame Dumont dans le bras où elle avait déjà eu pas mal de piqûres. Et cet air a entraîné la mort quand il est arrivé au niveau du cœur.

- Oh !

- Madame Barbier, quand je vous regarde, je vois une mamie très respectable.

- Pourquoi, je ne suis pas respectable ?

- Sans doute oui, mais voyez-vous jusque là j’avais un doute, mais maintenant j’ai une certitude.

- Une certitude ?

- Oui, j’ai l’intime conviction que vous avez tué madame Dumont en lui injectant de l’air dans la circulation sanguine. Vous avez profité de traces de piqûres dans son bras pour lui en faire une supplémentaire.

- Mais pourquoi j’aurai fait ça ? Hein !

- Tout simplement pour être la première centenaire de la résidence des Flots Bleus.

- Vous parlez, vous parlez, mais vous ne prouvez rien !

- Hélas, depuis la fin de votre activité, la science a beaucoup évoluée. Nous avons trouvé dans votre seringue, une micro goutte de sang et l’analyse ADN montre que c’est celui de madame Dumont.

- Vous êtes un salaud avec toutes vos questions, vous n’avez pas de respect pour les personnes âgées.

- Oh si. J’ai beaucoup de respect pour les personnes âgées, mais pas pour les assassins. Mais, maintenant, parlez-moi des autres femmes décédées dans leur quatre vingt dix neuvième année.

- Vous n’allez quand même pas tout me mettre sur le dos !

- Je pense que c’est déjà sur votre dos et sur votre conscience ! Je pense qu’elles aussi ont été tuées grâce à votre petite bulle d’air ! Toujours pour la même raison, être la première centenaire !

- Vous savez, je suis sûre que vous ne pouvez pas me mettre en prison… Et ces vieilles, elles n’étaient plus en très bon état. Alors quelques mois de plus ou de moins…

- Vous avez une triste fin madame Barbier. Pourrions-nous maintenant parler de la mort de votre mari…

La rédaction de la première partie est l’œuvre de Sylvaine Fanjat, j’ai commis la rédaction de la deuxième partie. Tout cela dans le cadre de l’atelier : « S’atteler à l’écriture » de l’UTA Lyon en janvier 2010.

© Pierre Delphin – janvier 2010

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Commentaires
R
Bonne soirée, commissaire !
H
... c'est bien sûr ! Dis donc elle est gratinée ta grand-mère indigne. Si les "nona" s'y mettent, alors, où va-t'on ? Je me mets à rêver d'une Miss Marple presque centenaire passant de l'autre côté de la barrière pour "voir au moins une fois ce que ça fait". Dommage que je n'ai pas l'étoffe d'une Agatha Christie.<br /> Bonne semaine cher inspecteur.<br /> Hélène
M
Bravo hercule, encore une affaire pas nette, enfin élucidée. Et bien écrit en plus !<br /> Alors le mari a aussi succombé à la piqure ? Pauvre homme mais quelles seront les raisons de son assassinat? Elle aurait eu intérêt à le garder pour avoir 2 salaires, faire la vaisselle, le bricolage, ouvrir le bocal à cornichons (ah celui-là !): hihi ! Ne nous laisse pas dans l'incertitude, viiiiite , la suiiiiiiite !
F
Ah! ben, il s'en passe des choses dans les maisons de retraite!!!<br /> Heureusement que vous êtes là, Pierre, pour faire la lumière sur de tels agissements!!!!
M
Belle cohabitation de textes ! mais pas drôle votre histoire, heureusement ce n'est qu'une histoire .....<br /> Bon dimanche à vous deux <br /> Bisous- Monelle
L'écritoire du baladin
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