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L'écritoire du baladin
L'écritoire du baladin
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27 janvier 2010

Recouvrement de dette

De sa terrasse au pied des Alpes, Paul se délecte de ce week-end ensoleillé. Bien installé dans sa chaise, il lit la dernière parution de Donna Leon : « Des amis haut placés ». Un bon polar qui le fait voyager au fil de l’eau de Venise, où l’inspecteur Brunetti se donne beaucoup de mal pour démêler une sombre affaire de permis de construire. Ah la corruption italienne quelle belle source d’inspiration pour des histoires en tout genre ! Claudine à ses cotés est plongée dans un roman de Marek Halter. Charles et François jouent tranquillement dans la petite cour. Moment de repos tranquille en famille.

Les yeux rivés sur les lignes d’un paragraphe plein de suspense, il entend du coté du portillon une voix douce qu’il reconnaît aussitôt.

- Bonjour, je vous dérange ?

- Entre Isaac tu es toujours le bienvenu !

Isaac s’installe, prend une chaise de jardin et la pose auprès du fauteuil de Paul. Il s’enquiert des nouvelles des enfants et de toute la famille. Claudine se lève après avoir proposé de faire un café.

- Dis-moi Isaac, quelque chose ne va pas tu n’a pas bonne mine ? Des problèmes dans ta famille ?

- Non la famille ça va bien, Marie et les enfants sont en forme, mais c’est du coté du boulot que ça va pas.

Paul avait beaucoup discuté avec Isaac l’année précédente quand celui-ci s’est mis à son compte comme carreleur. Isaac fait partie d’un petit groupe d’amis que Paul s’est fait dans ce village où ils ont acheté cette maison de campagne. Ils aiment à se rencontrer et faire des casse-croûte où lorsque le vin coule, les rires explosent. Cela se passe souvent dans la grange d’André qui pour la petite bande est devenu le spécialiste de la tête de veau.

- Tu manques de travail ?

- Je n’ai pas grand-chose à me mettre sous la dent et en plus j’ai des gros problèmes de trésorerie. Je pense que je vais être obligé de déposer le bilan. C’est pas la joie, je me sens très déprimé. Moi qui croyait m’en sortir en me mettant à mon compte, maintenant je suis inquiet pour la maison qui n’est pas finie de payée et la famille.

- Je comprends ton angoisse et qu’avec la situation économique actuelle qu’il y a moins de travail, mais ces derniers temps tu as travaillé, l’argent n’est pas rentré ?

- Non seulement j’ai des problèmes de manque de commandes, mais aussi des impayés.

- Tu n’as pas cherché à travailler en sous-traitance avec des confrères ?

- Si bien sûr, mais justement c’est de ce coté là que j’ai des impayés.

- As-tu eu des problèmes de qualité de ton travail ?

- Pas du tout ! Tout le monde est très content de ce qui a été fait.

- Et alors, pourquoi ils ne te paye pas ?

- Va savoir, ils ont eux aussi leurs difficultés.

- D’accord, mais ce n’est pas une raison de te faire profiter de leurs emmerdements. Qui est-ce qui te doit de l’argent ?

- Jérôme Bouteux, il me doit 12000 €. Ça fait une somme pour moi !

- Tu l’as relancé pour qu’il te paye ?

- Sûr ! Des courriers, des mails au téléphone… Il me répond qu’il y pense, mais rien ne vient.

- Es-tu allé chez lui pour le demander l’argent de vive voix ?

- Tu parles, il va m’envoyer chier !

- Il manquerait plus que ça ! Tu vas y aller maintenant, tu commences la discussion et je te rejoins quelques minutes après, je crois qu’il me craint un peu.

- Pour te craindre, ça c’est sûr ! D’ailleurs il ne t’aime pas, mais je pense que tu t’en fous.

- Totalement. Aller file, dis lui que tu ne repars qu’avec un chèque. Je te rejoins dans dix minutes.

- Merci Paul à tout de suite.

Isaac se lève, rejoint le portillon et prend la direction du bureau de Jérôme Bouteux. Pendant ce temps, Paul a sorti son portable et il appelle André. Il lui explique la situation et lui demande s’il est disponible pour l’accompagner pour renforcer la demande d’Isaac. La réponse est d’évidence positive, et André dit à Paul :

- J’appelle Julien pour qu’il vienne avec nous.

Lorsque Paul arrive devant le bureau de Jérôme, André et Julien sont là à l’attendre. Julien vient vers lui, le salue et lui dit :

- Ça me fait plaisir de venir taquiner ce connard.

Ensemble, ils poussent la porte du bureau sans frapper, bureau, qui est en fait un ancien garage transformé, et trouvent un Jérôme surpris qui se lève en criant presque :

- Qu’est-ce que vous venez foute ici ?

- T’inquiète pas Jérôme, on vient juste chercher Isaac pour arroser le paiement de son travail.

Jérôme se rassoit en leur demandant de les laisser tranquille. Mais Paul ne l’écoute pas et fait signe à Isaac qui explique :

- Il semble que Jérôme ne peut pas payer !

Paul se tourne vers Jérôme :

- Tu sais, Jérôme, il faut que tu fasses un effort, parce que tu ne peux pas faire travailler un ami sans le payer, ce n’est pas bien ça !

- Mais bon sang, si je vous dis que je ne peux pas !

Paul s’est positionné tranquillement derrière Jérôme et commence à lui masser les épaules. Celui-ci de plus en plus inquiet n’ose réagir. Il regarde André et Julien qui derrière Isaac, gardent un sourire tranquille sur le visage. Il trouve ces sourires particulièrement sournois. En continuant son massage, Paul se penche comme pour lui parler à l’oreille :

- Je te sens un peu tendu mon petit Jérôme. Tu connais le dicton des travailleurs : « Boulot réalisé, boulot payé ! » il faut que tu sortes ton carnet de chèque, maintenant ce serait mieux. Tu sais dans un village il faut savoir protéger les relations. Jérôme bouge un peu et cherche à dire :

- Mais je vous assure que je ne peux pas.

Pendant ce, temps Julien est allé dans un coin de la pièce où il a aperçu un club de golf.

- Ben dis donc Jérôme, tu joues au golf. Ça coûte un max d’argent ce sport.

Tout en parlant, Julien, toujours un peu facétieux, fait tourner le club au-dessus de sa tête jusqu’à entendre le sifflement de l’air. Est-ce vraiment par hasard ou maladresse qu’il lâche ainsi le club qui s’en va, par manque de chance sans doute, fracasser une vitrine où Jérôme exposait des bibelots. Rouge de colère et de peur, Jérôme tente de se lever d’un bond, mais les mains puissantes de Paul, le contraignent à rester sagement assis sur son fauteuil. Paul reprend la parole :

- Allons Julien, ce n’est pas gentil ce que tu viens de faire. Je suis sûr que cela va faire de la peine à Jérôme. Tu vois Jérôme quand on est en colère nous avons tous des difficultés à bien se contrôler, et on devient maladroit comme ce satané Julien. Tu ne veux quand même pas que nous devenions tous maladroits. Regarde par exemple le bras d’André qui est là à coté. C’est un garçon qui a toujours été bien nourri, et en plus, deuxième ligne de rugby ça donne une conformation un peu spéciale. Et bien son bras je l’ai vu plusieurs fois se lever doucement, très doucement, comme il fait en ce moment. Et puis, il le laisse tomber d’un coup. Bang ! Quand il tombe sur une tête, c’est un gros risque pour les vertèbres cervicales, et c’est un truc à avoir un torticolis pendant plusieurs semaines.

-Allons André ne soit pas méchant, je sens que Jérôme est en train de changer d’avis. Après tout c’est un bon gas, un peu têtu, mais un bon gas.

Le pauvre Jérôme est maintenant blanc de peur. Il sait que sous les rires sarcastiques qu’il voit sur les visages de ses visiteurs non espérés, il y a de la colère qui peut se transformer très vite en violence dont il serait la victime. Il tente bien une dernière sortie :

- J’en ai marre de vous, je vais appeler la gendarmerie.

Paul prend le combiné et le lui tend :

- Vas-y appelle. Mais soit quand même conscient, qu’avec le costard qu’on va te tailler, tu n’es pas prêt de retrouver du boulot dans la région. Et puis, pourquoi déranger la gendarmerie quand on peut faire les choses à l’amiable. C’est quand même plus raisonnable de négocier à l’amiable. Aller, ouvre ton portable et va sur le site de ta banque. Voilà c’est bien. Aller les amis, on se tourne pendant qu’il tape son code confidentiel.

Pendant que Jérôme tremblant tape sur son clavier, Paul examine les chiffres qui apparaissent à l’écran.

- Voyons voir, mais tu as 15000€ sur ton compte. Dis donc Isaac, il te doit combien ?

- 12000€ !

Paul lui tape sur l’épaule déjà courbée sur le clavier :

- Tu vois nous tenons la solution. Ce n’est pas un chèque que tu vas faire, mais un virement. Et tout de suite, comme cela nous repartirons amis.

- Mais je ne peux pas, cette semaine il va y avoir l’Urssaf.

- Ce n’est pas grave, lundi tu vas téléphoner à l’Urssaf pour leur expliquer que tu ne peux pas. Tu verras, ils sont très gentil à l’Urssaf, presque autant que nous et en plus ils sont très compréhensifs. Aller, maintenant tu tape 12000 dans cette case, et là tu tape le numéro de compte d’Isaac Très bien, maintenant tu tape sur « Envoyer ». Tu vois comme c’est simple de payer ses dettes ! Dire que des fois on perd du temps avec des formalités.

- Isaac regarde sur l’écran l’information affichée : « Transaction confirmée »

Chacun repart doucement vers la porte en laissant un Jérôme affalé sur son fauteuil encore étonné de la scène surréaliste qui vient de se dérouler devant lui, avec lui. Paul le regarde une dernière fois en hochant la tête :

- Aller, au-revoir Jérôme, tu es un con, mais merci quand même de ta compréhension.

Les trois amis se retrouvent sur la placette, Isaac sert les mains pour remercier.

- Aller, venez jusqu’à la maison pour prendre un verre et pour vous dire merci.

Le soleil est maintenant un peu plus haut dans le ciel, mais la chaleur, la verdure et l’amitié leur donne une alacrité pleine d’énergie.

Toute ressemblance avec une situation existante ou ayant existée ne serait que fortuite, quoique…

© Pierre Delphin – janvier 2010

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Commentaires
R
Merci pour ce commentaire hier soir, ça me motive pour continuer! J'aime bien votre style d'écriture, léger, fluide, on s'y plonge sans contraintes et c'est plaisant! <br /> Je repasserai aussi suivre les mouvements de votre plumes, à bientôt et bonne journée!<br /> <br /> Orianne
M
ton histoire "lave" plus blanc que blanc, des magouilles ordinaires et de tout ce qu'on lit dans le journaux actuellement et qui sent mauvais. <br /> je me prend à repenser à cet ami qui, un jour ou l'autre m'a aidée à sortir du pétrin, pour aucune autre raison que l'amitié qu'il me porte.<br /> toute allusion à une personne qui existe, n'est pas fortuite. <br /> bisous
C
Pierre,<br /> <br /> Tes testes sont toujours aussi agréables à lire.<br /> Aux cours de mes pérégrinations, j'ai découvert ce blog : http://a1000mains.hautetfort.com. Le principe est simple, à partir d'une photographie, il faut écrire un texte...<br /> Tous les détails sont dans la catégorie "tous les jeux" à droite.<br /> Je pense que je vais essayer de participer...<br /> Seul bémol, la date limite : le 2 février...<br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> Cécile
Z
L'union fait la force, et l'amitié le reste.<br /> <br /> Super tes petites histoires, j'ai beaucoup aimé " la centenaire des flots bleus"<br /> <br /> Merci de nous distraire <br /> <br /> Avec les bisous de zibulinette
K
Félicitations, Pierre ! Voilà Paul, héros de série qui fait valser la réalité quotidienne avec les ingrédients du polar...<br /> (suivons ça de près)
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