Ceci est le sixième opus de cette année d’atelier d’écriture (*). La consigne était : Le texte doit contenir et utiliser la phrase : « Vous n’allez pas me croire, on m’a dit que… »
Il reste encore un peu de fraîcheur dans l’air, mais tous deux sont au chaud dans la terrasse couverte du café des trois canards. La matinée n’est encore pas trop avancée, mais Paul et Jean ont commandé un pot de mâconnais que le patron a servi avec une petite coupe de grattons. Ils bavardent des dernières dispositions du gouvernement pour diminuer le chômage quand il aperçoivent Antoine arrivant de son pas toujours pressé au coin de la rue. Jean lui fait un grand signe et Antoine pousse la porte visiblement ravi de retrouver ses copains retraités.
- Alors Antoine, comment ça va ?
- Oh moi ça va, mais ce matin en allant au pain, vous n’allez pas me croire, on m’a dit que le maire de Lyon abandonne le projet de grand stade à Décines.
- Ah bon !
- On m’a dit qu’il a expliqué hier qu’il était immoral de faire une telle dépense alors qu’il y a tant de pauvres dans notre ville. Il a dit que le problème est que le terrain est beaucoup trop cher là où ils voulaient le faire. Comme d’habitude, c’était les promoteurs qui allaient s’en mettre plein les poches.
- Ah bon !
Ouais, on m’a dit que le maire a dit : - Non aux spéculateurs ! Et moi je trouve que ça c’était bien dit ! Vous vous rendez compte une telle dépense pour une poignée de vieux gamins qui courent après un ballon.
- Alors plus de stade ?
- Mais si, on m’a dit que ce ne serait pas là où il était prévu. Vous pensez bien qu’il ne peut pas tout abandonner. Sinon sa réélection… couic ! Dans la politique c’est bien connu si on fait pas quelque chose, on fait autre chose en disant que c’est mieux.
- Alors quoi ?
- Ben, on m’a dit qu’il a eu une idée que je ne trouve pas bête. Il veut faire le stade à la place du grand large.
- À la place du grand Large ?
- Oui, là bas c’est du terrain public, donc pas de terrain à acheter. C’est pas bête comme idée !
- Le coin est peut-être un peu humide ?
- Évidemment, mais on m’a dit que la Maire y a pensé. Il a dit que chaque fois qu’il y aurait des matériaux à mettre en remblais, on les mettrait dans le grand large. Les gens ou les sociétés paieront pour cela et ça fera rentrer de l’argent pour payer le stade. Quand le grand large sera plein, on tassera tous les matériaux et on pourra bétonner pour faire une grande dalle sur laquelle on construira le stade.
- C’est écologique ça ?
Là on m’a dit qu’on s’en fout un peu. C’est une zone pour faire du sport, pas pour les écolos. Pour les écolos, on plantera des massifs dans des bacs tout autour. Ça fera joli et tout le monde sera content. D’ailleurs, le Maire il a dit que pour l’écologie, les soirs de match, il y aurait des bateaux-navettes pour emmener les gens du centre ville au nouveau stade.
- Ça va être plus économique ?
- Ben tiens, c’est sûr ! Les remblais c’est gratos et même ça rapporte de l’argent. Et puis on m’a dit que les dessous des tribunes seraient aménagés en appartements. Coté sud des appartements de grand standing qui auraient une adresse prestigieuse. Ça va faire rentrer du pognon à la pelle.
- Et coté nord ?
- On m’a dit que là ils feront des appartements plus petits mais confortables pour abriter les familles sans logement. Les SDF quoi ! Ben oui, c’est quand même de la bonne idée ça. D’un coté on fait venir l’argent, de l’autre on fait du social. C’est un bon équilibre, et tous les électeurs sont contents.
- Et les footballeurs ?
- On m’a dit qu’ils en pensent que du bien. Ils ont été interviewés et ils trouvaient chouette de pouvoir faire de l’aviron sur le canal de Jonage comme entraînement. L’aviron ça développe la force des bras, c’est important si des fois il faut pousser un peu le ballon pour le faire rentrer dans la cage.
- Et l’opposition ?
- On m’a dit qu’ils ont été tellement stupéfaits de la nouvelle, qu’ils n’avaient pas su quoi dire. Faut dire qu’on ne peut pas trop trouver à redire à ce qu’a dit le Maire.
- Qui t’a dit tout ça ?
- La boulangère, mais c’est son neveu qui lui a dit. Tu parles, il est au courant de tout ce qui se dit : Il est journaliste chez HCL (hebdo Charlie Lyon). Alors c’est qu’il est au courant d’une source sûre.
© Pierre Delphin – janvier 2010
(*) Atelier d’écriture UTA Lyon dirigé par Jean Marc TALPIN
http://ecriture.uta-lyon.fr/talpin/index.htm
NOTA : Dans la banlieue de Lyon le grand large est une vaste étendue d’eau (150 Ha) en bordure du canal de Jonage qui est un des bras du Rhône à l’amont de Lyon.