Moi, je suis né d’un orage. Jusque là le temps avait été doux. De belles journées ensoleillées alternaient avec des jours d’une pluie fine et pénétrante. Nous arrivions à la fin de l’automne. En dehors des heures d’école, les enfants restaient le plus souvent dans leur chambre ou dans la salle de jeux. Leur présence au jardin était moins fréquente à cause de l’herbe humide qui tâche les fonds de pantalons.
Au journal télévisé du soir, l’animateur météo donna le signal. Demain toute la journée, chute des températures et fortes précipitations. La neige fera son apparition dans toute la région. Prenez vos précautions bla… bla… Bla… Soyez prudents sur les routes bla… bla… bla… Le lendemain, c’était un mercredi et nous pûmes vérifier qu’il avait dit vrai. Toute la région, tout le jardin était blanc. Blanc d’une neige toute neuve, toute pure.
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C’est vers 10 heures que tout a commencé pour moi. Il y a eu comme un lâcher de gamins qui sont arrivés en courant et en criant. Leur voix résonnait sur la couche de neige et on pouvait entendre : On en fait un ! On en fait un ! Et oui je suis né de cela Je suis né de mains d’enfants.
S’instituant chef, le plus grand décida. On le fait ici ! Aller les petits roulez des grosses boules. Le premier groupe de boules fût réunit et me servi d’embase. Une sorte de manteau allant jusqu’à terre. J’étais satisfait. Je me sentais bien stable, à l’aise. Puis d’autres boules servirent à me constituer le tronc. Les petites mains gantées s’activaient pour me parfaire les formes. Toutes ces fraîches papouilles me donnaient des frémissements sur les hanches. On me modela deux épaules, sortes de moignons qui se rattachaient à la taille.
Deux petites filles ayant roulé une grosse boule bien ronde, bien blanche, crièrent : ce sera la tête ! Le chef en convint que c’était vraiment une belle boulle. Il la prit avec un ho-hisse d’haltérophile, se fit aider par un assistant et vinrent la poser sur le tronc avec milles précautions. Des mains me frottèrent encore pour faire un bon scellement autour du cou. Mais ces chatouillis commençaient à m’exciter et à me donner envie de rire.
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J’étais heureux que ma naissance ait apportée autant d’alacrité. La petite troupe continua à rire, à plaisanter, à danser en tournant autour de moi. Ils s’absentèrent un instant. Quelques minutes plus tard ils revinrent accompagnés d’un groupe d’adultes, alors j’entendis des phrases telles que :
- Il est vraiment très beau !
- Bravo les enfants !
- Va chercher l’appareil photo !
- C’est une belle décoration de Noël pour tout le quartier !
Vous pensez bien que j’étais très fier de tous ces propos me concernant et ma neige commençait à rosir sous les marrons, mais personne ne s’en aperçu.
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Je passai le soir de Noël seul dans la nuit et le froid. Ce n’est que vers une heure du matin qu’une bruyante bande de fêtards vint me rendre visite. Ils se mirent de chaque coté de moi, et un éclair de flash plus tard j’étais avec eux sur la photo pour la postérité.
Je mourus d’un réchauffement par une après midi très belle, très ensoleillée.
Le lendemain une maman ramassa la casquette, le foulard, la pipe et les marrons et négligemment, jeta tout cela au fond d’un carton.