Intimité
Tous deux assis sur le bord du sofa, ils sont là, las, les mains jointes. Leurs yeux se perdent dans le vague du calme de cette fin de journée. Sa main posée sur le bras de Claudine, malgré toute son ouverture, toute sa disponibilité, Paul sent qu’il reste sur le seuil de sa mémoire, seuil que nul geste d’invite ne l’incite à franchir.
Il reste ainsi dans l’écoute sans s’engager plus loin que la porte du présent. Il sent le passé affleurant aux mots qu’elle exprime, sans laisser de place à ses mains qui auraient voulu cueillir les paroles pareilles à des fleurs de jasmin au premier printemps.
La douceur d’un silence s’installe comme si leurs pudeurs réciproques tenaient leurs intimités à distance. Sa main, effleurant son bras, complète de son langage tactile fait de pressions et de glissements, l’expression de sa tendresse et l’acceptation des murmures de sa réserve. Pendant un long moment les mots ne tentèrent pas l’aventure sonore et ne troublèrent pas la magie de l’instant. En croisant son regard, elle voit au fond de ses yeux tout le respect qu’il lui porte. Sur son propre visage, ses yeux de femme se ferment à demi pour lui dire dans un langage de cils : - Un jour tu passeras le seuil, tu viendras dans le lit de mes pensées, de mon histoire. Tu supporteras avec moi les éclats de ma mémoire et les filaments de mon destin. Tous ces morceaux de moi-même qui m’ont construite, qui m’ont déterminée. Ils ont fait la femme que je suis, la femme que tu berces aujourd’hui. Son sourire répond à son regard, sa bouche s’ouvre pour laisser échapper un phonème vite éteint par une corde vocale trop discrète.
Il se lève et dans son geste, l’entraîne en lui tenant la main. À pas lents, le long de la haie. Leurs mains liées, soudées comme partie intégrante, ils ne forment qu’une seule entité de vie. Au fil des pas, il sent dans son esprit venir et se répandre le substitut de toutes les pensées qu’elle n’a pas pu lui exprimer. Il la prend dans ses bras pour lui dire combien il aime sa présence et la douceur de cet instant de partage. En réponse, le poids de sa tête au creux de son épaule devient langage, il exprime la confiance et l’abandon de cet intemporel moment.
Elle relève doucement la tête, ses lèvres glissent sur la joue et le baiser se pose sur les poils naissant de la peau virile. Il sent les bras fermes de son amie l’entraîner vers la maison dans une hâte subite. Mais sous le ciel nuageux, seuls leurs pas résonnent sur l’allée dans l’harmonie du tempo des respirations synchronisées. Il se laisse guider par les doigts souples pour retrouver le sofa. Leurs corps à peine posés, il entend la voix de papier froissé de son amie : - Je vais te dire…
© Pierre Delphin – Septembre 2010