Petit marché de la philosophie
La philosophie est comme un marché de campagne où chacun expose les produits frais de sa propre production. Sur ce marché, on trouve des étals sur lesquels nous allons faire la cueillette de ce qui nous plaît, de ce qui répond à nos besoins ou à nos habitudes pour alimenter notre esprit.
Nous prenons une idée de ci, une idée de là, pour faire un assemblage que nous transformons à notre guise en concept pour nourrir notre propre esprit et peut-être celui de nos amis. Ainsi d’un étal à l'autre nous prenons, nous choisissons, nous picorons des idées fraîches ou en conserve. Nous les consommons telles qu’elles sont, ou nous les transformons en les détaillant, en les malaxant, en les épiçant pour les accommoder à notre forme de pensée. Nous oublions le philosophe qui les a élaborées pour qu'elles deviennent nôtres. Elles sont notre propriété et nous en revendiquons leur réussite.
Profitons de ce beau soleil de printemps pour faire un tour sur ce petit marché sympathique ;
- Bonjour, Madame, est-ce que vos tomates sont bonnes ?
- Bien sûr, elles sont délicieuses, ce sont des Marmande.
- Vraiment ?
- Croyez-moi Monsieur, l'exigence de la vérité est une forme d'exigence morale (1)
- N'êtes-vous pas gênés par ce soleil trop fort ?
- Oh, j'ai appris à ne pas me soucier de ce qui ne dépend pas de moi et je ne me laisse pas emporter par mes passions (2). Alors le temps, je le prends comme il est.
- Quoi qu'il en soit, vous êtes le plus bel étal de légumes de ce marché.
- N'exagérons rien, mais j'ai appris à me voir telle que je suis, sans cacher mes défauts, sans exagérer mes qualités (3).
- Ne vous sentez-vous pas trop seule pour faire ce travail ?
- J'ai toujours considéré la solitude comme une source de bien-être, mais cela n'est vrai que parce que j'y étais préparée et parce que je l'avais choisi (3).
- Comme vous avez raison parce que si l'on ne fait pas bon usage de soi-même on s'expose à maints dangers (4).
- Allez, je vais choisir des fromages.
- Bonjour, monsieur désire ?
- Je ne sais pas trop. Tiens, donnez-moi comme la dame qui vient de partir.
- Comme il est dangereux de s'attacher au pas de ceux qui nous précèdent (2). Dites-moi plutôt ce que vous aimez, nous ferons ainsi votre propre plateau de fromages.
- Vous avez raison, connaître les autres est sage mais se connaître soi-même et la sagesse (5). Alors donnez-moi ce bleu des causses, ce picodon, et une tranche de reblochon.
- Voyez comme votre plateau de fromages est différent du précédent. Vous savez, le bonheur vient toujours de ne pas se comparer à autrui (6).
- Et là ce fromage, quel est son nom ?
- C'est du maroilles, vous ne connaissez pas ?
- Non.
- Alors, je vous en mets un demi, ne craignez pas ce que vous ne connaissez pas (1).
- Merci. Tiens voilà notre député qui fait son marché de campagne électorale.
- Bonjour, Monsieur, n'oubliez pas de voter pour moi, ainsi vous préserverez vos revenus !
- Mais Monsieur, comment ne rougissez-vous pas de mettre vos soins à amasser le plus d'argent possible et à rechercher la réputation et les honneurs, tandis que de votre raison, de la vérité, de votre âme qu'il faudrait perfectionner sans cesse, vous ne daignez en prendre aucun soin ni souci ? (1).
- Mais monsieur, nous sommes tels que nous nous faisons, car nous avons la responsabilité de notre vie. Il n'y a pas d'amour autre que celui qui se construit (7). Et c'est pour cela qu'il faut voter pour moi !
- Votre opposant a eu des propos très durs pour vous, en êtes-vous fâchés ?
- Je n'oublie pas ses propos. Mais je les ai pardonnés. Vous savez, pardonner c’est rendre un avenir possible. Et on ne peut pardonner que ce qu'il est possible de punir (8). Sa punition sera la défaite ! Mais personne ne peut abandonner la liberté de juger et de penser ce qu'il veut (6).
- Allez, je vous quitte parce que je dois faire la queue chez le charcutier.
- Hé là, Monsieur, vous me passez devant !
- Allons, allons, méfiez-vous de votre impatience, et admettez que votre mieux-être ne dépend pas de votre place, mais de la qualité de vos relations aux autres (9). Mais je vous en prie, passez.
- Alors M. le charcutier, vous semblez bien heureux aujourd'hui !
- Tout à fait, depuis que je me suis mis à mon compte, c'est formidable. Vous savez, j'ai appris à devenir acteur de ma propre vie en cessant d'attendre le bonheur pour être heureux. Je crois que j'ai su faire provision de joie en remerciant avant d'avoir reçu (10). C'est pour cela qu'avant de vous vendre mes produits, je vous remercie de votre visite.
- Vous avez mille fois raison, il est parfois difficile de vivre avec les autres, mais par ailleurs il est difficile de vivre sans eux (11). Bon donnez-moi cette tête de veau, quatre saucisses et une tranche de pâté aux champignons.
- Moi, j'essaie seulement de faire du bon travail au quotidien. J'ai appris au fil du temps que notre attachement au passé et à l'avenir nous voue à l’insatisfaction. Vivre au présent me libère (12).
- Et, pourtant, votre prédécesseur a eu des difficultés.
- Oui, pourtant il a fait beaucoup pour les autres et il s'est coincé lui-même. Il était de ces hommes qui n'ont pas su briser leurs propres chaînes, mais qui ont su pourtant en libérer leurs amis (13). C'était un homme bien.
- Vous êtes un charcutier philosophe ?
- Oui, un peu, la philosophie permet de nous agrandir la vie (14). Cela me permet d'être libre, c'est-à-dire de savoir ce qui me détermine (6).
- J'aime venir sur ce marché pour y cultiver mes émotions, car elles sont mon acceptation des réalités multiples qui nous entourent. Je les regarde sans jugement, sans espoir et sans regret (14).
- Comme vous avez raison, allez, bon appétit. Et pour vous Madame, ce sera ?...
Merci aux personnes citées ci-dessous pour l’aide amicale qu’elles m’ont apportée dans l’écriture de ce billet :
(1) Socrate
(2) Sénèque
(3) Montaigne
(4) Diogène
(5) Lao-Tseu
(6) Spinoza
(7) Jean Paul Sartre
(8) Hannah Arendt
(9) Abraham Maslow
(10) Alain
(11) Schopenhauer
(12) Swâmi Praynânpad
(13) Niestzche
(14) Charles Pépin
(15) Pierre Delphin ( J )
Bien sûr, vous avez envie de compléter ce retour du marché en remplissant le cabas des citations. Alors, chantez-moi : « Prête-moi ta plume, mon ami Pierrot... ». Ce que je fais volontiers en vous laissant la place sous la rubrique commentaires. Mais sachez que le produit dont j'ai particulièrement envie, c'est votre propre pensée, imparfaite, incomplète, mais si fraîche à déguster... À vous...
© Pierre Delphin – avril 2010