Vengeance tardive … (7)
suite…
Lorsqu'Antoine entre dans la salle des visites, Régis Brot est assis de dos. Au bruit de la porte, il se lève, se tourne avec un sourire triste.
- Désolé de vous revoir dans de telles circonstances.
- Merci d'être venu.
Antoine s'assied en face de lui, et attend en silence. Même si ce silence ne dure que quelques secondes, il est lourd, angoissant. Leurs regards se jugent, se jaugent, sans traces d’amitié. Dans leurs yeux seulement du respect et de la confiance.
- Antoine, vous ne gagnerez rien à rester dans le silence. Confiez-vous à moi, nous prendrons notre temps. Je ferai le relais pour que votre procès soit juste, équitable. Mais tout d'abord parlez-moi de vous. Comment vous sentez-vous ?
- Globalement bien, maintenant que j'ai fait ce que j'avais à faire.
- Oui, mais il faut que je comprenne l'essentiel de vos motivations. Pour qu'un homme tel que vous tue trois personnes dans ces conditions terribles, il faut que les motivations soient fortes, très fortes.
- C'étaient trois ordures!
- Pour porter un tel jugement, pour avoir fait les actes que vous avez faits, il faut que votre haine soit incommensurable. Quel est l'acte que vous leur reprochez?
- Il m'est trop difficile d'en parler.
- Je comprends, alors pour le moment, parlez-moi de votre vie. Au fait j'ai connu Sofia auprès de vous, vous êtes divorcés aujourd'hui, que s'est-il passé?
- Nous nous disputions souvent, trop souvent, nous avons dû nous séparer.
- Pouvez-vous me confier où étaient les difficultés de votre couple, vous êtes, l'un et l'autre des gens équilibrés.
- Sofia ne pouvait plus vivre en couple, je ne pouvais plus l'approcher. Nous vivions en parallèle.
- Problèmes d’argent ?
- Non.
- Problèmes dans votre vie intime?
- Oui bien sûr, depuis que …
- Laissez aller votre voix, laissez s'exprimer vos sentiments.
- Sofia a été, a été …
- Battue, violée?
- Oui, battue et violée par trois hommes, elle n'avait que quinze ans…
- Voilà, et les trois violeurs étaient les trois personnes que vous avez tuées, que vous avez punies ?
- Oui, il fallait que je le fasse.
- Ce n'était sans doute pas la meilleure solution, mais c'est celle que vous avez choisie. Parlez moi encore.
- La maman de Sofia était femme de ménage pour ces trois salauds. Un soir, elle a demandé à Sofia de porter quelque chose chez les Brincourt. Les trois étaient là, ils riaient avec de la musique forte, ils étaient ivres. Ils ont obligé Sofia à danser, puis ils l'ont déshabillée, battue, puis ils l'ont …
- Violée?
- Oui brutalisée. Quand elle s'est rhabillée pour partir, ils l'ont menacée de faire perdre l’emploi de sa mère et de son père. Ils ont ri de voir le sang couler le long de sa jambe.
- Et pour les parents?
- Les parents ne l'ont appris que quelque temps plus tard, ils se sont tus, ils avaient peur. Une chape de silence plus lourde que le plomb s’est posée sur la vie de la famille. Le temps passant, ils ont eu honte. Un jour ils sont partis le long du gave et se sont laissés mourir dans l'eau froide. C'est Sofia qui a été convoquée pour reconnaître les corps. Depuis tout s'est détraqué en elle. Nous avons vécu un mariage pratiquement sans relations intimes. Petit à petit je n'ai pas supporté. Sofia a compris ma frustration, elle est partie comme pour me redonner ma liberté d’homme. Mais à quoi sert cette liberté si c’est pour la vivre sans elle ?
- Vous avez tué ces trois hommes pour ce qu'ils ont fait à Sofia et pour les conséquences que cela a eu pour ses parents et pour vous-même. Quatre vies abîmées. Vous les avez tenus pour responsables et vous avez voulu faire vous-même justice. Aimez-vous toujours Sofia ?
- Oui, et aujourd'hui encore plus fort !
- Vous n'avez pas fait le bon choix, ils auraient plus souffert en prison pour une durée longue que morts. Cependant vous m'avez donné de bonnes bases pour préparer le dossier de votre défense. Je lâcherais des informations pour la juge, cela la calmera ! Continuez à ne pas trop parler, laissez-moi faire. La vérité complète tombera le jour du procès. Par contre il ne faut pas perdre de vue que cela va avoir des conséquences terribles pour les trois veuves et pour leurs enfants. Aucun d’entre eux ne connaît le comportement passé de ces hommes.
…
à demain pour la suite…
© Pierre Delphin - avril 2010.