Vengeance tardive …(3)
suite…
La cellule du commissariat est froide, malodorante. Un poivrot a dû se dégriser ici récemment en laissant des effluves de vin de mauvaise qualité. Un matelas habillé d’une feuille plastique sur un banc de béton constitue l’ameublement. Un WC dans le coin, Antoine va pisser, grimace de douleur, ses coliques néphrétiques le reprennent.
Il est allongé, sa vessie le brûle, mais sa tête est sereine, libérée. Il n’a pas envie de parler aux flics, aux juges ou à d’autres. Il estime n’avoir à se justifier par rapport à personne. Il s’est déjà justifié par rapport à lui-même. Il y a des actes, qui n’engendrent pas de dette, qui ne sont eux-mêmes qu’une réponse. Il sait que son acte, que ses actes engendrent une demande répressive de la société. Il sait qu’il sera jugé, qu’il sera privé de liberté. Qu’importe. Cette privation de liberté sera moins contraignante que le cachot dans lequel son esprit s’est enfermé depuis longtemps.
Il revoit dans sa mémoire la dernière image du visage de Brincourt. Quel salaud ! Il a eu un éclair de surprise dans son regard, peut-être s’est-il dit : C’est mon tour, comme une fatalité. Antoine a eu un instant l’impression qu’il voulait lui adresser la parole.
Les heures passant, sa respiration est calme, normale. Sa résolution de silence absolu s’émousse lorsqu’il pense que la machine judiciaire va le broyer. Il n’a pas confiance. Il se dit qu’il doit quand même en parler à un avocat. Il pense à Régis Brot, il l’a rencontré chez des amis, ils ont sympathisé, c’était l’année dernière. Ils se sont vite aperçus qu’ils partageaient les mêmes valeurs humanistes et la même horreur de la violence. Et pourtant Antoine s’est largement écarté de ces valeurs, comment Régis allait-il réagir ? Ils ont souvent parlé de justice, de ses réussites et de ses insuffisances, parfois même, ses échecs retentissants. Un soir Régis lui avait dit que ce qui est important dans la justice, c’est moins les faits (même criminels) que les circonstances qui ont amené les faits. Ainsi parfois, la victime pouvait être à l’origine de son propre drame. Il se défendait de vouloir ainsi argumenter l’auto-justice, mais certaines situations, si elles ne justifiaient pas le pardon, demandaient la compréhension, l’écoute. Régis lui avait répondu en souriant que pour lui en tant qu’homme, il entendait bien ce point de, vue un peu tranché certe, mais en tant que juriste, ce même point de vue devenait inacceptable.
Il fera faire une demande d’assistance demain. Maintenant il est tard, le commissariat est redevenu silencieux. Il se sent étrangement calme, il s’endort dans l’inconfort des lieux.
à demain pour la suite…
© Pierre Delphin - avril 2010.