Sylvie est agrégée
Un jour, Sylvie alla renouveler son permis de conduire. Lorsqu’on lui demanda quelle était sa profession, elle hésita un instant. Elle ne savait comment se qualifier. Le fonctionnaire insista :
- Ce que je vous demande est si vous avez un travail, un emploi ?
- Bien sûr que je travaille ! répondit Sylvie, Je suis mère de famille.
- Désolé, madame ! Mais nous ne considérons pas cela comme une occupation professionnelle ! Je vais donc mettre femme au foyer dit froidement le fonctionnaire.
- Mais monsieur, je suis agrégée en développement infantile et relations humaines !
La fonctionnaire eut un air de stupeur, d’étonnement, et Sylvie répéta mot à mot sa réponse.
Après avoir pris note, le fonctionnaire osa lui demander :
- Puis-je savoir ce que vous faites exactement ?
Sans le moindre doute, fermement et avec beaucoup de calme et sérénité, Sylvie expliqua :
- Je développe une thèse, un programme à long terme, à l’intérieur et à l’extérieur du foyer. Cela concerne l’évolution physique et mentale et la prise d’autonomie. Cela concerne également les problèmes liés à l’hygiène et au développement cognitif.
Pensant à sa famille, elle continua :
- Je suis à la tête d’une équipe et j’ai déjà à ma charge quatre projets bien distincts, chacun ayant leur propre spécificité. Je travaille à plein temps, sans limite d’horaire et en exclusivité pour cette équipe. Le degré d’exigence est de 14 heures par jour, parfois plus. Il n’y a pas de rémunération planifiée ni de cotisation pour une caisse de retraite. Par contre comme vous, je n’ai aucun risque de chômage.
Au fur et à mesure qu’elle décrivait ses responsabilités, Sylvie remarqua dans la voix du fonctionnaire un ton de plus en plus respectueux, qui, de son côté, continuait à remplir le formulaire.
Lorsqu’elle rentra chez elle, Sylvie fut reçue par son équipe de base : trois petites filles de 13, 7 et 3 ans.
En montant à l’étage, elle entendit le plus jeune de ses projets, un joli bébé de six mois, s’adonnant à un nouvel assemblage de sonorités vocales.
Heureuse, Sylvie prit son bébé dans les bras et pensa à toute la beauté et la noblesse de la maternité, à ses multiples responsabilités et aux heures interminables de pleine et entière disponibilité...
Maman, où sont mes chaussures ? Maman, tu m’aides à faire les devoirs ? Maman, le bébé n’arrête pas de pleurer. Maman, tu viens me chercher à l’école ? Maman, tu m’emmènes à mon cours de piano ? Maman, tu m’achètes…? Maman...?
Assise sur le rebord du lit, Sylvie pensa :
Si j’étais agrégée en développement infantile et en relations humaines, comment qualifier les grands-mères ? Et bien elle trouva. Les grands-mères seraient :
Des agrégées seniors en développement infantile et relations humaines.
Les arrière-grands-mères, les agrégées exécutives seniors.
Les tantes, les agrégées assistantes.
Et toutes les femmes, mères, épouses, amies et confidentes :
Des agrégées spécialisées dans l’art de rendre la vie meilleure.
Dans un monde où les titres et les diplômes ont tant d’importance, où l’on exige de plus en plus une spécialisation dans tel ou tel domaine professionnel, les mamans sont des agrégées dans l’art d’aimer.
Agrégation : Assemblage en un tout cohérent.
Pierre Delphin – février 2010