L’anniversaire de Josiane
Ceci est le quatrième opus de cette année d’atelier d’écriture (*). La consigne était : Faite se rencontrer deux personnages au caractère différent.
Explosant au dessus du brouhaha des conversations, c’est le rire en éclats de cascade qui attire l’attention d’Arthur. Il laisse en suspend la conversation avec Josiane pour regarder quelle est l’origine de ce débordement vocal. S’approchant de son oreille, Josiane lui dit à mi-voix :
- C’est Mathurin, il est très drôle et son rire est très sonore.
- En effet, je ne sais pas ce qu’il raconte à tes amis, mais son rire semble particulièrement contagieux.
Il n’y a que peu de temps qu’Arthur est arrivé dans le jardin de Josiane. Comme la plupart des autres invités, il est arrivé avec un cadeau et un bouquet de fleurs roses pâles pour lui souhaiter un bon anniversaire. Elle a voulu fêter avec ses amis son changement de décade, particulièrement celui-ci qui est son demi-siècle. Autant à faire que déjà fait, se plait-elle à dire. Amis depuis l’enfance, ils s‘invitent régulièrement lors de fêtes comme celle-ci. Il leur est même arrivé de fêter un jour où il n’y a rien à fêter, comme ça, juste pour le plaisir. Ils ont toujours su garder cette vieille complicité qu’ils cultivent au fil des années et qui s’épanouit dans de telles circonstances.
- Qui est ce Mathurin demande Arthur étonné de ne pas connaître un ami de Josiane.
- Oh, un homme avec qui j’ai sympathisé dans le cadre de mon travail. Il est journaliste.
- Il a une faculté certaine dans la communication verbale et une belle capacité à entraîner les autres dans la discussion et dans ses rires.
- Oui, mais avec lui, il faut se méfier des apparences !
- Pourquoi ?
- Oh, quand il est en groupe comme ce soir, il aime beaucoup parler des choses avec dérision. Il est parfois très drôle de l’entendre commenter une décision politique.
- Il aime la caricature verbale ?
- Sans doute l’aime-t-il, mais surtout quand il en est à l’origine ! Viens, je vais te le présenter.
Chacun dans le jardin est avec sa flûte de champagne dans une main, l’autre main étant occupée à cueillir des toasts sur la table transformée en buffet. Au passage une jeune femme accroche Josiane en la félicitant :
- Tes petits toasts sont délicieux, tu as dû passer un temps fou à préparer tout cela.
Josiane éclate de rire en répondant :
- Oh, le plus dur a été de découper les emballages de chez Picard et d’attendre la décongélation !
Le sourire de l’amie s’estompe un instant et se transforme en éclat de rire qui se mélange à la gaîté ambiante.
Dans la traversée du petit jardin, ils bousculent encore quelques personnes dont une dame un peu ronde qui faillit verser son champagne dans son décolleté. Quelle belle destination pour le champagne se dit Arthur en regardant un liseré de dentelle.
- Ah voici notre belle hôtesse bienaimée ! Dit la cataracte verbale.
- Mathurin, viens que je te présente un autre ami que tu ne connais pas. Voici Arthur, un de mes plus anciens amis.
- Arthur voici Mathurin. Il n’y a que quelques mois que nous nous connaissons, mais nous avons une grande complicité professionnelle.
Les deux hommes échangent des – très heureux de faire votre connaissance – en se serrant la main. Poigne puissante pour Arthur qui trouve celle de Mathurin un peu trop souple à son goût.
D’emblée, Mathurin rentre dans la banalité d’une conversation de première rencontre en disant :
- Le plus ancien et le plus récent ami de Josiane qui se rencontrent, quelle histoire ! Crois-tu que je puisse faire un article dans Lyon Hebdo pour parler de cet évènement ?
Arthur le regarde d’un œil curieux et Josiane lui répond en éclatant de rire :
- Chiche, on parie !
- Pari tenu. Cette semaine je fais un article – avec une photo de toi – relatant la fête donnée pour les cinquante ans d’une ancienne championne du monde la tarte aux pommes. Seule Française à s’être distinguée dans cette discipline.
Pendant que Josiane se laisse aller à un rire éclatant, Arthur, les paupières mi-closes, regarde son interlocuteur qui semble prendre au sérieux sa proposition. Toujours en riant, Josiane répond à une question d’une amie qui vient de la prendre par le bras et s’éloigne.
- Vous avez un sens de l’humour particulièrement développé à ce que je vois lui confie Arthur. Vous avez le sens de la plaisanterie !
Mathurin redevient très sérieux, les traits un peu figés. Il regarde Arthur dans les yeux et pose sa main sur son épaule.
- Comme vous êtes un ami de Josiane, je ne vais pas me fâcher. Mais je n’aime pas que l’on dise que je suis un plaisantin !
Arthur est stupéfait de la tournure de la discussion, et en hochant la tête, il fait remarquer :
- Je n’ai seulement dit que vous avez le sens de la plaisanterie ce qui pour moi est plutôt une qualité, pas que vous êtes un plaisantin. Quoi qu’il en soit pardonnez-moi si je vous ai froissé.
- Ce n’est rien, ceux qui me connaissent savent que je m’emporte facilement. Un jour Josiane m’a traité de soupe au lait !
- Pour en revenir à votre article vous allez réellement le faire ?
- Bien sûr ! Mon rédacteur en chef n’est pas très regardant sur les sujets de mes articles, pourvu que ça ne fasse pas de vagues.
- Et là, ça ne va pas faire de vagues ?
- Non pas des vagues, mais cela va quintupler mon courrier des lecteurs, enfin surtout des lectrices ! Certaines vont même me demander la recette de la tarte aux pommes, vainqueur du championnat du monde ! En fait, j’aime bien faire ce genre de canular. Pour réussir un canular, il faut le faire très sérieusement, beaucoup plus sérieusement que si on écrit la vérité.
Arthur est abasourdi par cette discussion sérieuse sur un sujet qui ne l’est pas, enfin pas pour lui. Il prend garde de ses commentaires pour ne pas froisser la sensibilité du reporter. Il ajoute pour poursuive la conversation :
- Et vous faite souvent ce genre de canular ?
- Environ une fois par mois. Il n’y a pas longtemps j’ai annoncé que pour la journée de la femme, les TCL allaient offrir une rose à chaque passagère du métro. Cela a fait un tollé à la mairie de Lyon, et la semaine suivante je publiais un démenti. Deux articles avec une même idée, pas mal, non !
- Et encore…
- Un que j’ai aimé, c’est d’annoncer que la construction du nouveau grand stage de foot allait se faire à la place du plan d’eau du Grand Large qu’il faudrait combler et que l’ancien stade de Gerland serait transformé en stade de boules. À la place des jeux de la confluence. Un ami m’a fait de super dessins et schémas. C’était plus vrai que nature. Même avec le démenti, les gens en parlent encore dans Lyon en disant que ça pourrait peut-être être vrai, mais que les politiques ne disent pas la vérité.
- C’est fantastique, moi qui suis déjà très prudent dans l’interprétation de la lecture des journaux, je ne vais plus rien croire !
- Vous savez l’important, ce n’est pas toujours la vérité, c’est le rêve ! Si l’article vous donne le rêve dont vous avez envie, il sera déjà un peu crédible.
- Excusez moi encore pour tout à l’heure, vous n’êtes pas un plaisantin, mais un philosophe ! – Rétorque Arthur en riant.
- Quoi qu’il en soit je préfère philosophe à plaisantin ! Venez allons remplir nos verres.
Après avoir une nouvelle dose de champagne, intéressé par ce personnage finalement différent de celui du premier contact, Arthur poursuit la conversation :
- Et vous écrivez pour d’autres revues ou journaux ?
- Par nécessité, je suis en free lance, et j’ai plusieurs employeurs. J’ai même été rédacteur en chef adjoint pour une revue qui n’a eu que six numéros.
- Manque de lecteurs ?
- Pas du tout. C’était un peu une danseuse pour l’éditeur qui l’a jeté comme un mouchoir de papier. C’était pourtant une super revue de grande qualité à la fois dans sa présentation et dans son contenu. Le titre c’était 4811. Chaque numéro était orienté vers un thème. Par exemple un numéro parlait du goût. J’avais fait un super article, un vrai, pas un canular, sur l’exaltation du goût du tablier de sapeur pané en fonction de la recette de la sauce gribiche qui l’accompagne. Même des restaurateurs Lyonnais m’ont écrit des choses sympathiques !
- Et avec Josiane, je pense que vous n’écrivez pas de recettes de cuisine !
- Non bien sûr. Pour les entreprises j’interview les plus anciens ou des retraités pour écrire l’histoire de la société. J’ai pas mal de demandes pour cela et c’est très intéressant à faire. Je suis historien industriel.
Une dame blonde vient s’interposer et prendre Mathurin par le bras :
- Est-ce que je peux vous déranger, nous voudrions vous poser quelques questions concernant votre métier.
Mathurin se laisse entraîner en laissant Arthur sur place. Ce dernier pense que son interlocuteur va être ravi de parler de lui-même. Il en profite pour échanger quelques mots avec des amis de Josiane qu’il a rencontrés à plusieurs reprises. Puis il s’approche de Josiane pour prendre congé et l’embrasser.
- Merci, tes petites fêtes sont toujours très réussies ! J’ai apprécié la rencontre avec ton ami Mathurin.
- Oh oui, comment l’as-tu trouvé ?
- Moins plaisantin que je ne pensais, et très intéressant quand il parle de lui-même, ce qu’il fait d’ailleurs très bien.
Sa phrase fut ponctuée par un échange de clins d’œil complices.
(*) Atelier d’écriture UTA Lyon dirigé par Jean Marc TALPIN
http://ecriture.uta-lyon.fr/talpin/index.htm