Le rendez-vous d’Amélie & Paul – Au parc
La main m’a été forcée, avec bonheur, par les lecteurs des lettres de Paul et d’amélie pour donner une suite. Je quitte la forme épistolaire pour raconter leur rencontre. La première partie était dans un restaurant, la suite, aujourd’hui dans un parc très cher aux lyonnais !
En arrivant en bas de la ficelle, le soleil fait danser ses rayons sur les vitrages de la station. Paul propose le choix entre le métro et traverser à pieds jusqu’au Rhône. Amélie accepte avec enthousiasme cette dernière proposition tout simplement parce qu’il lui est agréable de marcher au soleil. Ainsi ils traversent le pont Bonaparte, les places Bellecour et Antonin Poncet et se retrouvent à l’arrêt de bus le long du Rhône. Chemin faisant Amélie a pris le bras de Paul comme si ce geste était tout naturel. Leur discussion évite les sujets trop personnels, ils parlent de leur goût commun pour la lecture et des derniers titres pour lesquels ils ont eu le plaisir de lire. Ils s’aperçoivent que deux titres sont communs dans ces listes, et parlent plus particulièrement de ceux-ci. Mais déjà un 58 pointe sont museau et la porte s’ouvre pour les accueillir. Pendant le chemin ils regardent le paysage qui défile comme une croisière le long du Rhône. Sous les ombrages de la voie rapide, il est agréable de voir la rivière et les belles façades de la rive opposée. Dommage qu’il n’y ait pas de petits bateaux qui se promènent sur ce magnifique plan d’eau toujours calme. Puis le bus traverse le pont Churchill qui leur donne une perspective longitudinale du fleuve, et les pose non loin de l’entrée principale du parc de la Tête d’Or.
Ils passent le monumental portail en riant d’un jeu de mot un peu facile de Paul. En fait Paul s’aperçoit que le rire d’Amélie est un peu figé. Il ne sait pas trop comment se comporter avec cette femme ; il a souvent rêvé d’elle après le mariage de Lucien, mais elle reste pour lui une belle inconnue, une sorte d’énigme. Arrivé près du lac, ils s’engagent sur la gauche pour aller jusqu’à la roseraie. Même si Paul fait quelques commentaires sur le parc ou le lac, Amélie ne répond pratiquement pas comme si son esprit était ailleurs. Intrigué, Paul se penche vers elle en s’arrêtant et la regarde dans les yeux :
- Amélie je ne te sens pas heureuse d’être là, que se passe-t-il ?
Amélie baisse la tête comme si elle redoutait cet instant, ce questionnement. Elle la relève, le regard dur et dit à Paul :
- Si, Paul je suis heureuse d’être là, mais dans ma première lettre, je t’ai un peu menti. Je suis désolée.
Serrant sa main Paul lui demande :
- Menti, mais en quoi m’as-tu menti ?
Manifestement les mots ont des difficultés à venir dans la gorge d’Amélie. Elle reprend la parole quand une larme vient perler sur le coté de son œil :
- Je t’ai dis que j’avais une famille, un mari. Je suis divorcée depuis plus d’un an.
- Oh, moi aussi je suis divorcé ; est-ce si grave que cela ?
- Oui. Parce que les circonstances de mon divorce ont été particulièrement terribles.
- Les circonstances d’un divorce sont généralement toujours pénibles, mais toi du parle de terrible, je ne comprends pas que s’est-il passé ? Tout d’abord as-tu envie d’en parler, de m’en parler ?
- En fait, j’en ai parlé à très peu de personnes, à peine à ma famille et aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, j’ai envie d’en parler, j’ai besoin d’en parler. En parler avec toi, j’ai besoin que tu saches.
- Avec moi, je suis flatté de ta confiance, mais pourquoi moi ?
- D’un coté par les quelques échanges que nous avons eu je me sens proche de toi par la pensée, alors que par ailleurs nous nous connaissons si peu !
- Je suis prêt à entendre ce que tu veux me dire, mais je ne sais pas si je pourrais t’aider.
- Oh, il ne s’agit pas de m’aider, maintenant ça va, mais seulement de m’écouter. J’ai tellement besoins que quelqu’un m’écoute sans me juger.
Leur marche est devenue lente sur l’allée du Parc qui n’est sillonnée que par de rares promeneurs. Les grands arbres créent une voûte délicate pour abriter les confidences d’Amélie. Paul a passé son bras sur l’épaule de son amie comme pour contenir et canaliser une tristesse qu’il sent profonde.
- Parle comme tu as envie de parler Amélie, je t’écoute en ami.
Un son sorti de sa bouche sans signification coupé par un petit sanglot. Se reprenant elle lui dit d’une voix rapide et saccadée :
- Voilà, j’ai divorcé parce que mon mari était devenu violent avec moi.
- Quoi ! – La fin du mot s’étouffe dans la gorge de Paul qui présume d’une suite qu’il a peur d’entendre.
- Oui il m’a fait des choses très dures, il a souvent levé la main sur moi. J’étais une femme…
- Une femme battue ? Ajoute Paul à mi voix, son visage devenu tout pâle.
- Oui, c’est le terme que le médecin et la police ont employé.
- Médecin, police, mais c’était si grave que cela ?
- Oui, c’était devenu très grave, à la fin j’ai du être hospitalisée.
Paul pose ses mains sur les épaules d’Amélie, il lit toute la détresse dans son regard. Un instant, seuls leurs regards échangent des sentiments, paroles sans consistance.
- Parle moi, raconte moi ce qui s’est passé si cela te fait du bien. Il faut savoir parfois partager sa peine pour qu’elle soit moins lourde à porter.
Amélie le remercie d’un regard et continue :
- Cela à commencé il y a un peu plus de trois ans. Il s’absentait souvent pour aller jouer aux boules ou aux cartes avec des copains. Puis la fréquence a augmentée et parfois il rentrait ivre. Un jour, je lui ai fait remarqué que ce n’était pas gentil de sa part de me délaisser ainsi. Il m’a lancé une gifle, violente, je n’ai rien compris. Je suis partie pleurer dans la chambre. Je l’ai juste entendu crier que je n’avis pas à me mêler de sa vie ! Ce jour là reste honteusement gravé dans ma mémoire.
Paul ne relève pas le mot « honteusement », mais crispe un peu plus fort ses doigts sur l’épaule amie et la laisse continuer.
- La situation a continuée. Alors pour me changer les idées, je suis également sortie avec des amies de travail ou d’anciennes copines de lycée. Un soir je suis rentrée après lui, ses yeux brillaient par l’alcool. Sans me laisser m’expliquer, il m’a insultée d’une manière horrible. Il considérait que j’étais avec un amant. Il m’a dit qu’il allait le tuer. Il m’a traité de tous les noms. Tout y est passé, salope étant le nom le plus courtois. Comme j’ai du tempérament je lui ai répondu du tac au tac. Puis tout s’est envenimé aux paroles les coups ont commencés à pleuvoir, d’abord des gifles puis des coups de poing. Le lendemain je devais expliquer à mes collègues, qui n’ont pas été dupes, que je m’étais tapé l’œil dans une poignée de placard.
Amélie prend la main de Paul dans la sienne, s’essuie les yeux d’un revers de manche et regardant le sol, continue :
- Pendant une période les choses se sont calmées. Mais souvent il m’humiliait. Des remarques devant d’autres personnes, ou à la maison ou il me considérait comme une bonne à rien. Même le soir il me faisait l’amour avec violence, sans se préoccuper de savoir si j’avais envie ou si j’avais du plaisir. Un jour où il était éméché il m’a traité de pute !
Paul cru bon de l’interrompre :
- Mais tu n’as pas eu envie de le quitter à cette époque ?
- Je m’en sentais complètement incapable, aussi bizarre que cela puisse paraître.
- Mais pourquoi ?
- Oh les raisons sont nombreuses, toutes aussi factices les unes que les autres lorsqu’on parle de cela après.
- La première, je crois, c’est que malgré tout je l’aimais encore. Pour moi dire que je ne l’aimais plus signifiais que j’avais raté ma vie conjugale et je » ne pouvais pas l’accepter. Puis il y a eu le peur de me retrouver seule, de me sentir démunie sur le plan financier. La peur que les enfants s’éloignent de moi. La méconnaissance et la peur des procédures judiciaires. Et puis il y a eu ce jour où j’ai évoqué une séparation, j’ai reçu une gifle et un coup de poing dans le ventre et il m’a dit que, où que j’aille il me retrouvera et me cassera la gueule. À partir de ce jour là j’ai vraiment vécu dans la peur.
Paul est éberlué de ce qu’il entend. Se tournant vers Amélie, il rage, il ne comprend pas que l’on puisse être violent avec une femme comme elle. Instantanément il est mal à l’aise de sa pensée et précise pour lui-même : être violent avec une femme ou même avec une autre personne plus faible. Car le problème est bien là, ces hommes n’agissent ainsi que parce qu’ils sentent un différentiel de force physique avec leur victime. S’adressant à son amie, main dans la main, il lui demande encore :
- Vous n’avez jamais réussi à en parler calmement ?
- Oh si plusieurs fois ! Mais c’était toujours la même chose. Il reconnaissait qu’il s’emportait – C’était son expression- mais qu’il m’aimait, qu’il me demandait pardon, qu’il ne recommencerait jamais plus etc. Et puis tout recommençait quelques jours plus tard. Cela a duré près d’un an.
- Quelle horreur. Et tu as pu tenir le coup ? Comment cela s’est-t-il terminé ?
- Un autre jour je suis rentré après lui. J’étais allée faire des courses avec une amie. À peine arrivée, sans rien dire, les coups me sont tombés dessus. Il m’a dit :- Alors salope t’es encore allée te faire baiser par ton mec ! Gifles, poing sur la figure, dans le ventre, coups de pied dans les jambes. Le lendemain j’étais toute bleue et c’est là que mon fils est passé à l’improviste. J’ai eu beau lui expliquer que j’avais fait une chute. Il ne m’a pas cru et m’a obligée de lui donner des explications. Pendant ce temps il a téléphoné à un médecin. Quand celui-ci m’a examiné, il m’a dit qu’il devait prévenir la police. Une heure plus tard des flics étaient là qui m’interrogeaient, quand mon mari est rentré. Ils l’ont embarqué et mis en garde à vue. Moi j’ai été mise en observation à l’hôpital pendant deux jours. Rien de majeur, mais des douleurs très vives de partout et le moral complètement effondré. Pendant ce temps là mon fils et ma fille avaient pris contact avec un avocat qui a déclenché la procédure de divorce et un procès. J’ai dû entreprendre une psychothérapie pour essayer de me reconstruire.
- Voilà mon pauvre Paul. J’ai le sentiment de t’avoir pris en otage pour te raconter mes malheurs.
Disant cela, une esquisse, un semblant de sourire s’est affiché un instant sur le coin de sa lèvre. Paul ne répond pas de suite. Il supporte mal ces images de violence qui dansent dans sa tête. Ce n’est pas conforme à sa vision des relations. Avec Claudine, ils ont eu des échanges verbaux violents, mais jamais il n’aurait pu lever la main sur elle-même aux moments de colère intenses. Ce n’est que quelques pas plus loin qu’il s’arrête et lu dit :
- Non tu ne m’as pas pris en otage. N’emploie pas ce mot, il est lui-même violent. Tu m’as fait un signe d’amitié et surtout de confiance. Si ce n’était pas pour quelque chose d’aussi triste, je m’en sentirais flatté.
- Merci pour ton écoute et pour ta gentillesse. J’avais besoin de parler de cela. Regarde comme les roses sont belles !
Ils arrivent à la roseraie, et comme s’ils avaient oublié les propos échangés, ils s’extasient un instant sur la beauté de telle ou telle fleur, sur l’agencement d’ensemble. Mais ils sentent bien que leur esprit est focalisé sur des images beaucoup moins belles que celles de ces fleurs. Ils s’assoient sur un banc de pierre en silence. Tournant la tête, Paul regarde, son visage, il est triste mais serein presque détendu. Il lui demande :
- Et maintenant es-tu heureuse ?
- Je ressens un malaise quand je pense à tout cela. Un grand gâchis. Les enfants ont ouvertement pris mon parti et se sont rapprochés de moi. Ils ont coupé tous les liens avec leur père qui a fait quatre mois de prison. Mais il y a encore une chose que je ne t’ai pas dite.
- Encore, alors dis le moi vite !
- Et bien voilà depuis quelques mois j’ai commencé une liaison avec un homme. Je pense qu’il m’aime et je l’aime aussi. Nous pensons vivre ensemble.
Une petite pointe au cœur, Paul ne laisse rien paraître :
- Cela est plutôt la bonne nouvelle. Ce monsieur habite la région ?
- Oh, pas du tout. Il est australien et il habite Oxenford au sud de Brisbane sur la cote est.
- Et bien on ne peut pas dire que tu partes avec un voisin !
- En fait je dois partir dans deux mois le rejoindre et m’installer avec lui. Je ne sais pas si je fais une bêtise, mais j’ai pris ma décision.
Paul baissa la tête. Cette information signifiait pour lui que si le hasard avait remis Amélie sur son chemin, le même hasard allait la lui enlever. Il se senti profondément triste, la roseraie devant lui perd d’un coup tout son charme.
- Tu as raison, à certain moment il faut prendre des décisions et savoir aller vers le bonheur, vers son bonheur sans trop regarder derrière, je suis heureux pour toi.
Amélie sent la tristesse de son ami. Elle s’interroge un instant de savoir s’il a repris contact avec seulement le projet de retrouver une amie ou… Mais elle sent qu’elle ne peut changer le cours des choses. Elle lui sourit en lui disant :
- James est un homme charmant et je suis sure que vous aller sympathiser. Parce que j’espère bien que tu vas venir nous voir et passer quelques semaines avec nous !
Paul la regarde en riant :
- Chiche !
- Mais Paul ce ne sont pas des paroles en l’air. Mais cet hiver, au lieu de rester au froid ici, tu viendras au chaud avec nous.
- J’accepte l’invitation avec joie. Effectivement l’hiver prochain je pourrais être doublement au chaud. Dans l’autre hémisphère et avec toi. Enfin avec vous !
Ils se lèvent du banc pour continuer la promenade en direction du vélodrome. Puis comme il se doit quand on est au parc, ils font une visite aux animaux de la zone zoologique. Puis rejoigne le bus vers la porte des enfants du Rhône. Pendant toute cette promenade ils ne sont que deux amis qui parlent de tout et de rien. Deux fois cependant Paul est revenu sur cette douloureuse étape de la vie d’Amélie pour lui demander des précisions afin de mieux comprendre, autant que cela soit possible. Auparavant, il avait lu des articles sur les femmes battues, il avait vu des reportages à la télévision, des citations sur internet mais il doit bien admettre qu’il est resté, comme beaucoup, dans une quasi indifférence par rapport à cela. Maintenant il ne pourra plus.
Arrivés à Bellecour, ils prennent un dernier verre dans un bistrot et se séparent. En se quittant, ils échangent un baiser plein de chaleur qui claque sur les joues. Amélie lui glisse :
- Merci pour ta patience. Je compte sur ta visite en Australie. J’écris à James demain, je vais lui annoncer la nouvelle, je suis certaine qu’il sera enchanté.
- D’accord c’est promis ! Mais avant de se revoir au pays des kangourous serais-tu d’accord pour partager une soirée à l’opéra, mais là rien que nous deux.
- C’est une belle idée ! Justement il y a la Traviata de Verdi dans deux semaines, ça te plairait ?
- Oh oui très volontiers.
- Alors c’est moi qui t’invite, j’irai retenir les places dès demain.
- Merci Amélie, au revoir, sois heureuse.
- Merci Paul pour cette journée, merci pour ton écoute, merci d’être ce que tu es.
Chacun repris son chemin avec ce brin de nostalgie qui pince le cœur, mais qui le rend heureux.
Ce texte n’est qu’une fiction. Mais ce sujet est hélas trop réel. Il existe peut-être dans votre immeuble, dans votre village, dans votre quartier une femme qui souffre. Homme ou femme, ne fermons pas les yeux sur ce problème, et avant de quitter ce texte, je vous invite à passer par cette courte vidéo :
http://www.dailymotion.com/video/xbttb_violence-conjugale-campagne-gouvernement