Triste fin
Ceci est le troisième opus de cette année d’atelier d’écriture (*). La consigne était : Écrire mon autoportrait en objet ou en animal.
Je crois avoir été choisi et j’en suis fier. Plusieurs fois sa main a hésité, a soulevé un paquet voisin puis un autre. J’étais tout excité de cette hésitation. Je suis normalement respectueux de la concurrence et je n’ai pas une haine hostile pour les autres, non pas du tout. Mais enfin je connais ma bonne composition et toutes mes qualités. Je ne suis pas raciste non plus, mais comme la plupart de mes partenaires, je suis blanc, d’un blanc très pur. D’ailleurs dans ce métier, il y a peu de noirs, même pas du tout.
Ce que j’ai aimé dans son choix, c’est qu’elle a pris le temps de vérifier la douceur, la souplesse ; du bout des doigts. Puis elle m’a regardé avec attention et j’ai vu son regard s’illuminer en voyant la petite fleur bleue qui orne mon front. Elle m’a pris dans ses mains avec douceur, calmement. Puis, d’un geste vif que je n’ai pas compris, elle m’a jeté dans un panier.
Je suis resté là, coincé entre une salade et une boite de conserve, me balançant au bout de son bras. Plus tard, un vêtement, un tee-shirt peut-être est venu me couvrir. C’est sans grands ménagements qu’elle m’a posé sur une tôle brillante, froide. Une autre dame, que je ne connaissais pas, m’a poussé avec désinvolture et a fait circuler sur moi un rayon lumineux rouge vif, violent avant de me jeter sur le coté.
Enfin elle est revenue. Calme. C’est avec soin qu’elle m’a rangé avec d’autres boites inconnues dans un grand cabas vert avec un texte parlant d’écologie. Là j’ai pu lire des slogans et des propos qui me font mal. Les humains veulent-ils sacrifier notre race, nous rendre inutiles ?
Le voyage fut long, chaotique, inconfortable. Le grand sac bougeait au rythme des aléas de la route. Les autres objets venaient me taper et amortir leurs mouvements sur la douceur de ma constitution. Je suis de nature disons un peu moelleuse, mais ils en profitaient un peu trop !
Enfin, à l’arrivée je fus séparé des autres objets et une place me fut affectée. C’est important pour moi de ressentir que j’ai une place, un endroit à moi. J’étais bien, mais un peu triste de me sentir inutile. Oui, c’est un mot qui m’obsède, je veux me sentir utile. Heureusement cela n’a pas duré. Une pointe de ciseau a délicatement ouvert mon enveloppe, puis ses mains m’ont serré doucement pour ouvrir ma deuxième peau. Là je l’ai senti, là je l’ai deviné. J’allais être utile !
Doucement elle m’a déplié, replié en deux en insérant un verre de lunette, puis un autre. Elle a frotté doucement, comme un rituel, je la sentais attentive. Pour faciliter mon travail, elle a soufflé un peu de buée entre mes plis ; Ah ! Quelle expérience ! J’ai eu droit à toutes les saveurs mentholées de son haleine. Puis ses lunettes sont allées encadrer ses magnifiques yeux verts.
Elle m’a gardé un instant dans sa main et enfin j’ai eu le bonheur de rencontrer son nez, petit et tout rond. Elle m’a serré contre lui avec une douceur extrême, un geste d’amour. Mais là dans un geste de violence, elle a soufflé très fort, m’a aspergé de je ne sais quoi de nauséabond, m’a froissé et m’a jeté dans un petit réceptacle avec le plus grand désintérêt.
Ainsi ma vie a pris fin dans cette brusquerie que je n’aime pas, dans cette indifférence qui me fait souffrir. Mais je garde ma fierté, j’ai été utile, doublement utile.
(c) Pierre Delphin - décembre 2009 - 100ème publication
(*) Atelier d’écriture UTA Lyon dirigé par Jean Marc TALPIN