Lettre à Fernande,
Ceci est le premier opus de cette nouvelle année d’atelier d’écriture (*). Sur une enveloppe, nous avons noté un nom et une adresse, éventuellement une profession. Les enveloppes étant redistribuées, nous avons écrit à la personne concernée par l’enveloppe. – L’enveloppe reçue portait les indications suivantes :
Madame Fernande Wendling
63, chemin des capucines
67300 La maison Blanche
Fernande,
Tu es partie. Je suis triste. Je connais les raisons de ton choix, ton besoin d’isolement. Aujourd’hui le temps me semble vide, mon cœur est nostalgique. Le ciel bleu et les chants d’oiseaux de ce matin auraient dû, comme à l’habitude remplir mon cœur de joie et d’allégresse. Il n’en n’est rien. Je regarde seulement à travers le feuillage les volets de ta maison. Ils sont clos comme une amitié qui s’éteint.
Sur la terrasse, ce matin, le café était fade. Je n’ai même pas perçu le goût subtil que j’aime et l’odeur qui entérine mon réveil. Sous le store aux larges bandes bleues résonnent encore nos bavardages. Nos échanges, nos sources de réflexion. Nos fous-rires aussi. Tu me disais aimer ces discussions. Sache qu’elles ont enrichi mon esprit, façonné mon raisonnement, validé ou invalidé mes à priori.
Te souviens-tu du temps passé à évoquer la vie et sa richesse. À évoquer la vie et tous ses tracas, toutes ses douleurs. Nous sirotions notre verre d’orangeade, tranquilles, dans l’immobilité des pendules. Tout me semblait tellement établi que j’étais dans la confusion du passé, du présent et du futur. Je n’avais plus de repères temporels puisque le bonheur était sur un fil tendu qui semblait sans fin, toujours renouvelé.
J’ai bien senti ton évolution dans tes réflexions, dans ta recherche personnelle. Tes pensées devenaient plus introspectives, plus centrées sur toi-même. Toi toujours ouverte à la pensée des autres, à l’écoute. Un moment, j’ai eu peur car je ne percevais pas la finalité de cette évolution.
Puis un jour, mardi dernier, il était quinze heures environ tu es arrivée. Ton éternel sourire à la vie qui illuminait ordinairement ton visage n’était plus qu’un rictus. Les traits de ton visage étaient sombres et tendus. Avec une économie d’explications, tu m’as dit que tu allais partir. Retourner dans ta maison familiale en Alsace. Que tu souhaitais être seule. Que tu souhaitais, pour un moment, de ne pas avoir de visites, pas de téléphone, pas de liaison internet. Tu partais en faisant le vide derrière toi. Ce jour là je n’ai pas pu m’exprimer, le choc était trop fort. Je t’ai dit que je comprenais. Ce n’était pas vrai. Je n’ai toujours pas compris. Comme une bouteille à la mer, il me reste cette lettre. J’espère que tu prendras le temps de la lecture. Je n’en écrirais pas d’autres, sauf si tu me le demandes.
Pour moi, l’amitié c’est d’accepter l’autre tel qu’il est, telle que tu es, dans la liberté de ce que tu fais, de ce que tu décide. L’amitié, c’est un peu attendre ce que l’autre peut donner, mais c’est surtout le bonheur de pouvoir apporter tout ce que l’on a à l’autre. Si j’ai encore beaucoup à donner, à te donner, il n’y a plus personne pour recevoir. Cet après-midi, je boirais seul mon orangeade.
Je suis chagrin, je t’espère heureuse. Dans ce temps de solitude tu trouveras le temps d’écrire ton livre. Nous avons tant parlé de ce scénario ! Je te fais confiance, ce sera un bouquin magnifique ! Et tu n’auras pas de mal à trouver un éditeur intéressé. Lorsqu’il sera fini, me donneras-tu le plaisir d’être ton premier lecteur ?
À bientôt chère amie, chère Fernande. Tu me manques, mais je suis heureux de t’espérer heureuse. Ainsi va la vie, peut-être, pour passer le temps, ferai-je comme toi, prendre un cahier et écrire, écrire, écrire.
Mon amitié reste indéfectible. Je t’embrasse. À quand tu voudras.
Pierre
(*) Atelier d’écriture UTA Lyon dirigé par Jean Marc TALPIN