Le petit lapin qui voulait être rouge
Il était une fois un ravissant petit lapin tout blanc, tout blanc comme un flocon de neige. Sa maman le trouvait magnifique. Ses frères et sœurs, tous gris perle, marron foncé ou beige tendre, le trouvaient eux aussi absolument superbe, et en ressentaient même parfois un petit peu de jalousie.
Et lui, le petit lapin ?
Eh bien il était FU-RI-EUX !!
Tout ce blanc ne lui plaisait pas du tout, du tout ! Il se trouvait pâle, fade, pouah !
Lui, il aurait voulu être rouge !
"Rouge ?" s'étonnait sa maman.
"Rouge ! " s'esclaffaient ses frères et sœurs, en agitant leurs oreilles avec allégresse.
« Oui, oui ! Rouge, comme les roses rouges, les framboises, les groseilles... »
"Les tomates ! Terminaient ses frères et sœurs " tu serais la seule tomate à pattes du monde entier !"
Et ils s'écroulaient de rire les uns sur les autres, malgré le regard courroucé de leur maman ...qui, il faut bien le dire, avait grand mal à ne pas sourire pour ne pas faire de peine à son petit. Elle essayait de le raisonner :
"Mais mon chéri ce n'est pas possible. On n'a jamais vu un seul lapin de cette couleur - Cela n'existe pas. Et tu n'as pas besoin de devenir rouge pour que je t'aime !"
Et elle l'embrassait tendrement.
Alors il se cachait dans un coin pour bouder, pleurnichait un peu, soupirait beaucoup, et finissait par s'endormir...et rêver qu'il était de la couleur magique. Mais bien sûr, à son réveil, rien n'avait changé. Un jour, petit lapin prit une grande décision. Il allait partir, quitter le terrier natal, parcourir le monde. La terre était si vaste, les pays si nombreux, la nature si merveilleusement inventive. Il existait sûrement, quelque part, un pays où les lapins étaient rouges! Ce pays, si loin qu'il soit, petit lapin le découvrirait.
Il attendit la nuit, s'assura que toute sa famille était profondément endormie, et se faufila dehors sur la pointe des pattes, n'emportant pour tout bagage que quelques carottes. Pour le reste, il aviserait ! Heureusement, la lune était pleine et l'on y voyait parfaitement. Au moment de s'enfoncer plus profond dans les bois, le jeune fugitif sentit un pincement au cœur : Qu'allait penser sa maman ? Elle allait s'inquiéter, avoir peur pour lui...peut-être pleurerait-elle ? Mal à l'aise à cette idée il faillit renoncer, mais son désir fut le plus fort. Ses frères et sœurs sauraient certainement la consoler, et elle serait tellement émerveillée à son retour qu'elle oublierait son inquiétude. Et hop, voilà notre explorateur en route. Pas trop rassuré tout de même !
Maintenant qu'il n'était plus à l'abri du terrier, les avertissements de sa maman sur les dangers de la forêt lui revenaient en mémoire. Il sursautait au moindre frôlement, et au moindre craquement plongeait dans les buissons, le cœur battant. Le plus léger nuage assombrissant la lune l'immobilisait sur le chemin, mais sa peur cédait lorsqu'il s'imaginait revenant chez lui, revêtu de sa somptueuse fourrure toute neuve d'un rouge profond, et racontant ses terribles aventures à ses frères et sœurs bouche bée. Pour le coup, ils ne songeraient plus à se moquer de lui ! Mais d’abord, il fallait découvrir le fabuleux pays et donc…marcher.
Et il marcha, marcha, marcha. Des heures avaient passé ou peut-être des jours, il ne comptait plus tant il était fatigué, tant il avait mal aux pattes, et soif, et faim, car ses quelques pauvres carottes étaient croquées depuis longtemps et il n'avait rien trouvé d'autre à se mettre sous la dent. Et toujours nulle trace du pays des lapins rouges ! Mais il ne s'avouait pas vaincu. Tout, plutôt que de revenir sans avoir réussi, et d'affronter les reproches de sa maman, les réflexions des voisins et l'ironie des autres lapins. Il fallait tenir ! Trouver !
Dieu seul sait ce que serait devenu ce petit entêté sans la chouette et l’écureuil. Madame la Chouette, Hulotte de son prénom, était très âgée. Elle habitait dans un très vieil arbre, non loin de la famille lapin. Comme toutes ses congénères, elle vivait surtout la nuit. Et cette nuit-là, alors qu’elle se préparant à aller faire son marché, elle avait aperçu notre petit ami qui se glissait tout doucement hors de chez lui et s'éloignait à vive allure. Très intriguée, car elle se doutait bien que jamais sa maman ne lui aurait permis de sortir seul à pareille heure, elle s'était mise à le suivre discrètement, passant le relais à un écureuil roux de ses amis lorsque le soleil s'était levé. Au retour du crépuscule, l'écureuil vint lui indiquer où se trouvait maintenant le voyageur.
Oh, pas vraiment loin en fait, il était bien trop épuisé pour avancer très vite. Madame la Chouette décida qu'il était temps de mettre un terme à cette histoire. Quelle que soit la raison de son équipée, s'il ne rentrait pas chez lui au plus vite, ce jeune nigaud allait mourir d'épuisement, ou terminer dans l’estomac d’un prédateur. Elle s'envola, le repéra, le dépassa et se posa au sommet d'un arbre à quelques mètres de lui. Puis, elle fondit brusquement sur lui, brassant l'air bruyamment de ses ailes et lançant un hululement à vous glacer le sang. Le résultat dépassa toutes ses espérances. Le jeune héros sauta en l'air, les yeux exorbités et se rua comme un fou dans la direction exacte...de son terrier ! Il volait littéralement, traversant les buissons sans prendre garde à leurs épines, oubliant sa fatigue, son estomac creux, et même cette magnifique fourrure rouge pour laquelle il avait entrepris l'aventure. Il n'avait qu'une idée : courir, courir, fuir sans s'arrêter le plus loin possible de ce monstre épouvantable qui avait failli l'emporter. Pendant ce temps, le monstre en question, très satisfait de son effet, suivait à bonne distance pour s'assurer que le fuyard prenait le bon chemin. Enfin, après une course éperdue qui sembla au pauvre lapineau avoir duré des siècles, il poussa un cri de joie : chez lui ! Il était revenu chez lui !
Il reconnaissait la clairière, et là droit devant, le terrier ! Il se précipita dans le trou et s'affala par terre, hors d'haleine...Pour se trouver face à 8 paires d'yeux, dont une au moins manifestement furieuse ! Mais brusquement, au grand ébahissement du coupable, un éclat de rire général secoua ses vis-à-vis. Ils se tenaient les côtes, ils en pleuraient, tellement qu'ils ne parvenaient pas à articuler une seule parole. De plus en plus vexé, il se releva, tapa de la patte et cria :
"Mais arrêtez-vous, enfin ! Expliquez-moi, qu'est ce qui vous arrive !"
Toujours riant, sa maman, le prit par le bout d'une oreille et le tira devant le miroir, en lui disant :
"Regarde-toi même ! Tu as ce que tu voulais, comment te trouves-tu ?"
Et là, en face de lui, le contemplant de ses yeux ronds, il vit un petit lapin... rouge de la tête à la queue, avec en prime une ou deux feuilles vertes coquettement collées sur les oreilles ! Interloqué, il mit quelques instants à se reconnaître, et à comprendre. Dans sa fuite, il avait dû traverser sans s'en rendre compte des buissons de mûres, de fraises et de framboises sauvages, dont le jus en se répandant avait peu à peu teint sa belle fourrure blanche. "Beurk ! " fit-il. Je me préférais avant !" "Moi aussi, moi aussi !" crièrent tous ses frères et ses sœurs. Quant à sa maman, elle ne dit rien, mais elle sourit d'un air satisfait...et lui fit prendre immédiatement un bon bain ! Le petit lapin n'est plus jamais reparti chercher le pays des lapins rouges. Et pas seulement à cause de la terrible frayeur qu'il avait éprouvée, mais parce qu'il a compris combien tous les siens avaient eu peur pour lui, combien ils avaient été soulagés de le revoir, bref combien ils l'aimaient ! Et dans ces conditions, la couleur, franchement, quelle importance, pas vrai ?
Et non, ce n’est pas moi qui ai écrit ce conte. Il a été posté par helaine, le vendredi 14 août 2009. En fait je lui ai prêté mon lapin coquin contre un lapin rouge. C’est cela le e-commerce ! Allez dire un petit bonjour à Helaine sur :