Le chantier
Les jours ont succédés aux jours, les deux semaines sont passées, vite. Aujourd'hui c'est jour de fête sur le chantier. En fin de journée, chacun repartira vers sa vie habituelle. Paul bavarde avec ses nouveaux amis, en particulier avec Théo avec qui il a fortement sympathisé. Quelle belle équipe ils ont formé ! Avec son visage toujours souriant, Henri vient à sa rencontre. Bravo Paul, tu peux être fier de toi, tu as fait un excellent travail, regarde. Paul regarde encore une fois ce tour de porte où la pierre dorée caractéristique de la vallée est superbe. Chaque ciselure a retrouvé son relief et ses formes que les siècles avaient peu à peu effacé. Paul tu as été l'artisan qui fait remonter le temps lui dit Henri. Le panneau de la porte refait à l'identique par un menuisier brille de son chêne neuf huilé.
Tout le reste des travaux a largement avancé et la petite église a un air tout pimpant sous le soleil de fin d'été. L'un des compagnons avait fait le commentaire :
- C’est une mamie qui retrouve sa jeunesse.
Les habitants du village passent maintenant régulièrement les voir. L'église est devenue pour eux le but de la promenade dominicale. Ils sont fiers et heureux de retrouver un peu de l'histoire du pays, un peu de leur histoire.
Hubert DE LANGLOIS est content. Il regarde l'église, son église comme un père regarderait un enfant retrouvant la santé après une longue maladie. Son épouse et sa fille Clara vont et viennent, distribuant des petites tartines et des boissons à tous les compagnons.
Elles ont toujours leurs belles robes blanches. D'ailleurs, pendant tout le séjour, Paul les a constamment vues ainsi habillées. Combien ont-elles de robes blanches dans leur armoire se demanda Paul en souriant ? En fait, seul la couleur de la ceinture ou de la broche a apporté des changements visuels dans leur tenue. Aujourd’hui, Clara a une large ceinture d'un bleu très vif, très pur. Les extrémités de la ceinture longue pendent le long de la robe sur le coté en faisant ressortir un peu plus la clarté du tissu. Armelle, si elle porte une ceinture plus discrète a pour décorer le blanc de sa robe une broche large, jaune vif, comme une fleur de tournesol qui met en valeur le large décolleté.
Clara offre un toast à Paul avec un gentil sourire, mais sans un mot. Elle ne veut pas que quelqu’un se doute du moment d’intimité qu’ils ont partagé. Cette grande réserve, cette timidité semble un peu étrange à Paul, mais il pense que cela est sans doute le résultat d'une stricte éducation. En prenant le toast, Paul effleure la main de la jeune fille en la regardant dans les yeux et en lui souriant. Son simple – Merci mademoiselle, veut aussi dire – Tu es jolie, tu me pais beaucoup.
Paul fait le tour des autres compagnons pour leur dire au revoir. La veille, ils ont échangés adresses et numéro de téléphone. Une dernière blague à l'un, une tape dans le dos de l'autre, l'ambiance est chaleureuse. Il remercie particulièrement Henri pour ses conseils et ses encouragements. Il remercie Monsieur DE LANGLOIS pour la gentillesse de son accueil d'une ferme et franche poignée de mains. Ce dernier lui dit simplement :
- Merci jeune homme, en lui glissant dans la main une enveloppe.
Paul devine que c'est plus qu'un salaire, la récompense de la qualité de son travail, il dit un simple et sincère Merci. Il salue Madame DE LANGLOIS en la remerciant pour le séjour et la félicite pour ses talents de cuisinière. Cela la fait éclater de rire, ce qui fait tourner quelques têtes amusées. Il s'avance vers la jeune fille en lui disant: au revoir Clara. Elle s'avance vers lui d'un geste vif et presque furtivement dépose un baiser sur sa joue en lui prenant la main. Si la peau de son visage n'avait pas bruni par le travail en plein air de cet été, on pourrait le voir rougir d'émotion. Dans la main de Clara, il sent un petit papier, il ferme sa main dessus, et discrètement le glisse dans sa poche.
C'est dans l'espoir heureux de retrouver son appartement et ses parents à Lyon, et c'est dans la tristesse de quitter ses nouveaux amis et une expérience enrichissante qu'il rejoignit sa vielle Clio. À l’abri des regards, il ouvre le papier de Clara, et lit :
- À partir du 25 septembre, mon adresse sera 35 rue Vaubecour Lyon 2ème. Téléphone: 06070809
Quand il tourne la clef de contact, la vieille voiture émet un bruit bizarre suivi d'un pet noirâtre avant de ronronner plus calmement. Il dit un dernier au revoir de la main par la vitre ouverte en regardant toutes les mains amies lui faire des signes de bon voyage. Il voit dans les yeux de Clara qu’elle a compris que son signe s’adresse particulièrement à elle.
Il retrouve cette belle route de la vallée de l’Azergue, en appréciant son autonomie de pouvoir conduire une voiture, sa voiture. Chemin faisant, il repense à tout ce qui a enclenché de si belles vacances.
Il repense à cette fin d’année scolaire au lycée. Année difficile avec une ambiance un peu rude, souvent conflictuelle, où il ne s’est fait que peu d’amis. De ce fait, il a travaillé, beaucoup travaillé. Comme souvent, du travail nait la réussite : Bac avec mention Bien. Cela lui a donné un coup de fierté, et ses parents ont été tout surpris. Pendant que sa mère séchait ses larmes de joie, son père a sorti le champagne pour fêter l’évènement et lui a dit de sa voix sentencieuse :
- Puisque tu as brillamment réussi ton Bac, si dans quinze jours tu réussi ton permis de conduire, je t’offre une voiture.
Il a tenu parole. Le permis de conduire en poche (du premier coup !), un soir de la semaine suivante, il arrivait avec une vieille Clio qui se transformait pour lui en véritable carrosse. Ensemble ils avaient fait une longue promenade pendant laquelle son père pu vérifier qu’il conduisait d’une manière très correcte. Ce jour là, son regard sur son père a changé, il s’est senti être mis au rang des adultes.
Il repense aussi à ce soir là où sa mère qui lisait attentivement le journal s’écria :
- Je t’ai trouvé une occupation pour les vacances. Regarde.
Il s’approche du journal et lit :
- Ouverture d’un chantier de jeunes à Letra dans la vallée d’Azergue… Réfection d’une ancienne chapelle…Gite et couvert contre travail… Récompense en fin de chantier… Appeler Monsieur Hubert DE LANGLOIS après 19 heures…Suivait un numéro de téléphone.
Le soir même, il appelait ce monsieur, qui l’a questionné un moment, qui lui a expliqué le travail à faire et une demi-heure plus tard, ils étaient d’accord et prenaient rendez-vous pour le mois d’août. Ce n’est pas avec cela que je vais me rendre riche, avait-il dit à ses parents, mais cela me donnera une petite expérience dans un métier manuel. Son père l’avait fortement approuvé.
Pendant le mois de juillet, il a pu donner des coups de mains à un commerçant du quartier, de quoi compléter le crédit de son compte en banque.
Il repense à ce jour, il ya tout juste deux semaines où il est arrivé devant la belle maison de la famille DE LANGLOIS. Belle villa de deux étages, à la toiture compliquée. Un grand parc avec de magnifiques arbres, un bassin entouré de rosiers. Il se cru être dans un château. Il avait laissé sa Clio dans un coin discret de la cour pour ne pas gêner, et son sac à la main il s’était dirigé vers la porte d’entrée. Il était juste 18 heures, l’heure convenue avec monsieur DE LANGLOIS. Il n’eu pas à sonner. La porte s’ouvrit alors qu’il était encore à quelques mètres de l’entrée. Une femme grande, élégante l’accueillait avec un beau sourire :
- Bonjour, vous êtes Paul ? Soyez le bienvenu. J’espère que vous avez fait bonne route et que vous avez facilement trouvé notre maison.
- Bonjour Madame, merci pour votre accueil. Je n’ai eu aucun problème de route, mais je la connais bien, car nous avons de la famille de l’autre coté du col des écharmaux. À Coublanc, un petit village perdu à la limite de la Saône et Loire.
- Très bien, je vais vous montrer votre chambre et vous laisser vous installer. Si vous le voulez bien, nous dînerons un peu tôt, à 19 heures parce que nous devons ressortir ce soir avec mon mari que vous verrez à table.
La chambre, sans être spacieuse était très confortable, meublée avec de vieux meubles campagnards et décorée avec beaucoup de goût. Paul pris le temps de se mettre à l’aise et de ranger ses affaires.
II était 18 heures 57 lorsqu'il descendit à la salle à manger. Un moment plus tôt, il avait entendu le gravier de la cour crisser au freinage d'une voiture. D'une main indiscrète il avait tiré le rideau et vu un homme élégant sortir d'une grosse automobile vert foncé. Il pensa que c'était sans doute une anglaise, une ROVER peut-être.il vit un peu plus loin sa vielle CLIO et se dit que son propriétaire avait dû choisir celle-ci plus pour son style que pour ses performances techniques.
Paul était surpris et intimidé par l’harmonie de cette maison. Il y avait un tel contraste avec l’appartement de ses parents ! L'escalier qu'il descendait était en tomettes rouges bordées de chêne verni, avec une large rampe de bois sculpté qui s’élançait en volutes vers les étages. Les murs étaient décorés de tableaux, sans doute anciens. Tous représentaient des portraits. Paul pensa qu'il s'agissait des ancêtres de la famille.
L'homme attendait dans le hall. Paul reconnu celui qu'il avait vu un instant auparavant descendre de sa voiture. Il remarqua un élégant foulard de soie rouge qu'il portait autour du cou, noué et rentré dans sa chemise.
Bonjour jeune homme ! La voix était grave et chaleureuse. Paul, en reconnaissant la voix du téléphone, remarqua son sourire amical et fut rassuré.
- Je m'appelle Hubert DE LANGLOIS compléta l'homme en lui tendant la main.
La poigne était ferme, Paul aima ce contact viril. L'homme entraîna Paul jusque dans la salle à manger. En entrant ses yeux s'ouvrirent plus grand. Plafond à la française, boiseries, riches tableaux représentant des paysages de vignoble. Sur l'un d'eux il vit une petite église. Mobilier ancien, rustique, cette pièce exprimait l'élégance et le bon goût.
Mais ce qui le surprit le plus, ce fut les personnages. En fait deux femmes. Plus exactement une femme et une jeune fille de son âge. Toutes deux étaient vêtues d'une longue robe blanche. Une ceinture vert-pâle donnait une touche de couleur à celle de la jeune fille et un camélia rouge vif ornait le col de la femme. Toutes deux avaient un sourire amical et serein.
- Paul, je vous présente Armelle mon épouse et Clara ma fille. Armelle, Clara, je vous présente Paul qui est étudiant en gestion et qui vient participer à la restauration de la chapelle. Se tournant vers le hall, il accueilli également un nouvel arrivant et le présenta à Paul. Voici Théo dit-il. Théo travaille lui aussi sur le chantier, et il est avec nous depuis deux jours. Théo est étudiant en architecture. Paul serra la main amicale d'un garçon de son âge.
Je vous en prie, passez à table proposa la maîtresse de maison.
- Ce soir, c'est potage de légumes, assiette de charcuterie, fromages et fruits, j'espère que cela vous convient.
Paul était ravi, lui qui n'aimait pas les repas trop lourds ou trop formels. Avec de courtes phrases, l'homme questionna les étudiants sur le contenu de leurs études, sur leurs motivations, sur ce qu'ils aimaient dans la vie. Il leur parla de l'histoire mouvementée de la vielle chapelle, tantôt lieu de culte tantôt repaire de brigands. Il parla de son amour pour la région, de la fascination qu'il avait pour les vielles pierres. Il évoqua sa volonté de fêter un prochain Noël dans la chapelle restaurée.
Madame participait un peu à la discussion, complétant un point de vue ou un questionnement de son mari. La jeune fille mangeait silencieusement, calmement. Sans prononcer aucune parole elle semblait attentive aux propos échangés. Paul apprécia la vivacité de la discussion pendant le repas. Il lui était agréable d'être en présence de gens cultivés avec lesquels au détour de chaque phrase, il y avait quelque chose à apprendre.
Quand il remonta dans sa chambre après avoir chaleureusement salué ses hôtes et son collègue, il se régala par avance des deux semaines qu'il allait passer dans cette région. Le soir, sur une demi-page de son bloc-notes il écrivit un mot pour donner de ses nouvelles à sa grand-mère savoyarde. Il ne l'avait pas revue depuis un trimestre.
Dès 8 heures le lendemain matin, il descendit, bien éveillé après une bonne nuit et une douche bienfaisante. Il se sentait en pleine forme et prêt à mettre la main à la pâte sur le chantier. Dans la salle à manger la radio donnait les informations matinales. Seul Monsieur était là. Ils se saluèrent, puis firent quelques commentaires sur l'actualité. Son hôte le salua et se retira en lui souhaitant bonne journée. Quelques minutes plus tard il entendit la voiture démarrer sur le gravier de la cour.
Gibecière à l'épaule, il se dirigea vers sa Clio en pensant qu'elle allait bientôt faire partie des antiquités ! Elle toussota pour démarrer et peu de temps après il la laissa dans un pré près de la chapelle. Il rejoignit la haute stature d'Henri qui discutait avec d'autres compagnons. Une équipe de maçons professionnels était également sur place, leur camionnette garée en contre bas.
Ce matin le ciel était particulièrement lumineux et le soleil déjà bien présent estompait les derniers voiles de brume au fond des vallons. Un buisson fleuri d'aubépine contre le mur de l'église donnait une touche de couleur et attirait une volée de papillons. Henri lui serra fortement la main et lui dit :
- Viens je vais te confier une mission.
Il le regarda dans les yeux et compléta son bonjour par :
- Tu me semble calme et minutieux, je vais te confier une tâche bien particulière. Paul apprécia le compliment et se fit attentif. Henri récupéra au passage une caissette remplie de petits outils étranges, des sortes de grattoirs droits ou coudés. Ce sont des rifloirs précisa Henri. Il entraîna Paul vers une porte latérale de l'église dont le panneau vermoulu était à demi ouvert.
- Voici ton lot dit-il dans un large sourire. En fait tu peux constater que le tour de la porte est sculpté, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Paul regarda avec attention les ciselures de ce tour de porte faites de fines fleurs et de rosaces. Il remarqua que le temps avait fait son œuvre destructrice, la pierre était noircie et les lichens proliféraient. Henri lui tendit la caissette d'outils comme on offre un cadeau.
- Voilà lui dit-il, il te faudra beaucoup de patience et d'énergie pour racler chaque détail des sculptures pour redonner à la pierre sa teinte d'origine. Ensemble ils essayèrent les outils sur le détail d'une fleur, et geste après geste ils virent quelques centimètres carré de pierre reprendre vie. Ils se regardèrent en souriant, oui c'est bien cela que nous voulons obtenir dit Henri.
Paul resta seul, il tira à lui un gros bloc qui lui servit de tabouret et, lentement, patiemment, il commença son travail, l'œuvre de ses vacances actives.
Jours après jours il avait vu son travail progressé. De percevoir ce changement, de voir renaître cette pierre, il en tirait une grande fierté. Dans ce chantier il prenait aussi beaucoup de temps pour discuter avec les autres compagnons. Leurs discussions portaient souvent sur l’actualité ou sur la politique, là les esprits s’échauffaient parfois en contradictions souvent maladroites. Certains jours, deux d’entre eux qui avaient déjà pas mal voyagé, évoquaient leurs souvenirs, leurs rencontres. Ils apportaient du rêve et faisaient défiler des images dans les têtes remplies d’inconnus.
Le soir, souvent il lisait dans sa chambre. Les journées étant physiquement fatigantes le repos du soir, un livre à la main donnait un équilibre à la journée.
En arrivant vers Lozanne, il se souvient de cette soirée, où à la fin du repas il avait dit, il fait beau ce soir, avec votre permission, je vais aller lire dans le parc. Il se souvient en particulier que pendant le repas de ce soir là, Clara à plusieurs reprises l’avait regardé et lui avait souri. Regards fugitifs mais d’une grande présence. Comme à son habitude, elle n’avait que très peu parlé pendant le repas.
Après être passé dans sa chambre pour récupérer son bouquin, il s’était assis sur un vieux banc de bois au fond du parc, loin de la maison. Bien qu’absorbé par sa lecture, à un moment il entendit un petit bruit, une sorte de frôlement, un oiseau, un animal en promenade dans le parc ? Il entrevoit un drapé blanc qui se faufile entre les arbustes. Il ne ressent pas d’inquiétude, mais de la curiosité. Puis le drapé blanc se précise, il a une tâche de couleur en son milieu, et au dessus un visage fin, souriant. Clara est là détendue, une expression heureuse sur ses lèvres. Il voit ces lèvres s’ouvrir pour lui murmurer :
- Mes parents n’ont pas vu que j’étais sortie. J’ai eu envie de venir te dire bonsoir.
- C’est très gentil, et cela me fait vraiment plaisir. Veux-tu venir t’asseoir à coté de moi.
- Oui, bien sûr, qu’est-ce que tu es en train de lire ?
- Regarde, c’est un tout petit livre merveilleusement écrit.
- De qui est-ce ?
- De Stephan Zweig, il s’agit de : « Vingt quatre heures de la vie d’une femme ». J’aime beaucoup l’écriture de cet auteur, si précise, si vivante, si humaine. En particulier ce livre où les sentiments féminins sont si bien exprimés.
- Tu me le prêteras quand tu l’auras terminé ?
- Oui bien sûr, nous pourrons même échanger nos points de vue sur cette lecture.
En parlant, il avait à peine réalisé que Clara s’était rapprochée de lui, que son épaule touchait la sienne, que sa jambe frôlait sa jambe. Il ressenti un instant de vive excitation mais aussi d’inquiétude. Il se sentait très maladroit, comme souvent avec les filles. Il lui prit les mains, elle les lui offrit avec confiance comme un cadeau précieux. Les yeux dans les yeux ils avaient l’un et l’autre ce regard émerveillé plein de pépites qui pétillaient dans cette fin de journée. Il ne pu que murmurer :
- Tu es jolie, très jolie.
- Toi aussi tu es beau, j’aime bien t’écouter quand tu parles à table.
Il la serra un peu plus contre lui, la pris dans ses bras et posa ses lèvres sur sa bouche avec la délicatesse d’une plume se posant sur la rosée du matin. Ils se regardèrent émus de ce premier contact, comme s’ils voulaient mémoriser cet instant et le garder, précieux dans l’écrin du bonheur. Les bouches se retrouvèrent dans un baiser maladroit. Puis comme pour mieux apprendre, ils recommencèrent encore et encore. La main de Clara passée derrière son cou l’encourageait dans ses incertitudes. Sa main, à lui, plus curieuse partait à l’aventure dans l’échancrure de la belle robe blanche. Elle ne portait pas de lingerie et le bout de ses doigts vinrent effleurer une pointe ferme. Clara ne défendit pas ce territoire, mais au contraire attendit que la main, douce coquille, vienne englober un à un ces petits seins qui n’avaient jamais été touchés qu’en rêve. Ils restèrent un long moment ainsi à s’embrasser et à faire des brouillons de caresses, chacun hésitant à faire un mouvement trop ample de peur de briser la magie de l’instant.
Plusieurs soirs de suite, ils vécurent ces pauses d’amourettes clandestines en cachette des parents de Clara. Soirées qui alimentaient leur nuit de rêves pleins d’une douce quiétude.
Pendant qu’il conduit, ces dernières pensées lui laissent comme un goût d’inachevé. Il vérifie que le papier de Clara est là posé sur le siège à coté de lui. Il l’effleure comme s’il s’agissait d’un talisman.
En arrivant sur l’autoroute, peu avant Lyon, il remarque que le vent est levé, plus fort que dans la vallée. Une bourrasque fait tanguer la petite voiture et d’un coup, il voit le papier s’envoler et partir pas la fenêtre restée ouverte. Il freine violement, s’arrête sur la bande d’arrêt d’urgence, sort en trombe de la voiture et regarde vers l’arrière, mais rien. Il remonte sur une centaine de mètres le long de l’autoroute, rien. Une profonde déconvenue dans son cœur, il regagne la voiture, triste. Il n’a même pas songé de laisser sa propre adresse à Clara.
En poussant la porte de l’appartement parental, il trouve sa mère qui lui fait un grand sourire. Elle constate sa mine fermée, triste.
- Que se passe-t-il Paul, quelque chose ne va pas, tu as eu des problèmes avec ta voiture ?
- Non maman, tout va bien, je suis seulement très fatigué, tu comprends, nous avons fait la fête toute la journée. Mais ce chantier était vraiment passionnant. Je vais me reposer un instant, je vous raconterais pendant le repas ce soir.
Dans sa chambre, porte fermée et bagages laissés en vrac, il peut s’allonger et laisser s’exprimer les larmes qui lui mouillent le regard. Le visage souriant de Clara flotte dans la pièce.
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