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L'écritoire du baladin
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11 mars 2014

Ta chandelle s’est éteinte

 

 

L’automne était bien commencé. À la porte de l’hiver, Maman, ta flamme s’est éteinte ; depuis plusieurs jours elle était vacillante et nous étions là pour la veiller.

Depuis à peine plus d’un mois tu avais soufflé ta bougie avec l’inscription : « cent-deux ». Levant ton verre de cidre tu nous as murmuré : - Bonne santé à tous. Osant quelques mots d’une chansonnette inconnue de nous. Peut-être même inventée pour la circonstance. Tu savais, tu sentais, que cet anniversaire-là était le dernier.

Puis, tu es restée à attendre l’échéance de la vie, consciente. Attendre, attendre. Nous étions là, deux enfants vieillissants, nous étions là pour tenir ta main, pour apaiser tes peurs, pauvres de notre impuissance à changer le cours du destin. Une bronchite est venue pour tendre la main à la chamade. Une fatigue immense s’est installée.

Notre madeleine, c’était le café de l’après-midi, avec un gâteau. Trop de tension dans la gorge, le partage s’est arrêté. Plus l’envie, plus la force de tenir la tasse. C’est étonnant, comme un geste, un rite quotidien, lorsqu’il s’arrête, marque d’une pierre sombre une étape de vie.

Puis, le circuit du lit au fauteuil et du fauteuil au lit est devenu le circuit du lit au lit. L’automne et la fatigue avaient fait abandonner, depuis plusieurs semaines, les promenades autour de la maison.

Le lit, dernier refuge de la vie, est devenu cocon avec son murmure de mouvements pour soulager l’usure de la peau. La maladie s’est retirée en laissant un limon d’épuisement. Les dernières réserves d’énergie, se sont envolées avec les premiers vents d’automne.

La Toussaint est passée. Cette année, tu ne t’es pas inquiétée des soins apportés à la tombe de ton homme, notre père. Déjà trente-cinq ans qu’il y réside, tu savais que tu allais bientôt le rejoindre.

Nous sentions que les derniers jours étaient là, nous étions frère et sœur de chaque côté du lit. Attendre. Main dans la main, des mots de douceur, apaisement de l’âme. Nous avions eu le temps de nous dire ce qu’il nous restait à partager, nous étions sereins.

Cet après-midi du 4 novembre touchait à sa fin, sa somnolence était calme. Une dernière envie : boire. Un peu d’eau gélifiée qui glisse dans la gorge, un baume. Dernier sourire de contentement, puis le sommeil, le silence.

Puis une question : - Elle s’est endormie ? Ce n’était pas une question, la réponse n’en était pas une non plus. – Non, c’est fini.

D’un coup tout se précipite : formalités, choix, décisions. Mettre les choses en ordre, fermer la porte en disant : - Merci.

Vient vite le temps du dernier voyage. Passage par l’église – Oh, juste une absoute tu avais dit. Cérémonie simple, seulement dévoyée par le spectacle de mépris que tes deux petites-filles ont joué à leur père. Il y avait d’autres lieux pour ce scénario, elles ont choisi une église et un cimetière.

 

 

© Pierre Delphin – mars 2014

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Commentaires
R
J'ai lu avec émotion votre article concernant la fin de votre maman. Vous avez été le fils que toute maman souhaite avoir, surtout à la fin quand on aborde les rivages inconnus. J'ai perdu la mienne il y a 19 ans, elle n'en avait que 79. Sa fin n'a pas été douce. J'ai encore mon papa, 99 ans. <br /> <br /> Vos mots sont beaux, monsieur le baladin. Ils touchent du doigt (si l'on peut dire)<br /> <br /> l'essentiel de la vie. Même si la vie aboutit à la mort. Amitiés.
F
Bonjour, je vous adresse mon remerciement concernant la qualité de votre site.
F
Elle s'est "envolée "...une étoile est née!!!Merci!
A
Mon père est parti en mars et depuis...j ai toujours froid. <br /> <br /> Nous les avons gardés longtemps mais leur mort a tué l enfant que nous étions restés! <br /> <br /> Je n aime pas être ADULTE ..<br /> <br /> Désolée d être en retard pour ......
P
Bel hommage !
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