Que serai-je sans toi, qu’un cœur au bois dormant. Une poussière opportune jouait à faire tressauter le bras du pick-up. Dix, quinze, vingt fois que j’entendais la voix aimée, répétitive. J’entendais sans écouter, trop absorbé par ma lecture. Une revue, la littérature de la renaissance. Montaigne. Un essai pour trouver les vraies sources du bonheur. Hédonisme. J’applique cela au creux de mon fauteuil.

Une voix forte arrive de la cuisine :

- Oh ! Tu changes le disque de ton ardéchois !

Quel scandale et quelle insolence pour parler ainsi d’un poète. D’un poète de la vie, d’un jongleur de mots, sorte de croque notes. Une pichenette sur le bras et la chanson continue :

- …que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre…

Par avance, j’aime, j’aimerai ceux viennent, qui viendront à ma rencontre, qui viennent pour moi, qui m’offre ce trésor sans prix : Le temps qui leur reste. Temps de vie où le vivant s’ajoute au vivant.

Toi aussi viens à ma rencontre. J’irai d’un pas léger vers toi. Mais déjà les effluves viennent agacer mes narines, exciter mon palais qui déjà salive. Avant que je ne reconnaisse, avant que je demande, déjà tu annonces :

- Lapin et ses carottes dans un bain de tomates et d’herbes fraîches.

J’aime quand tu viens ainsi à ma rencontre une casserole fumante à la main et un rire qui tintinnabule sur ton visage. Que serais-je sans toi sans ces bonheurs du jour ? Qu’un vieux bois dormant au fond de la remise.

 

© Pierre Delphin – mars 2011