Ce matin d’octobre, le soleil levant illumine la chambre. La fenêtre est ouverte pour que la fraîcheur de cette fin de nuit puisse entrer. Antoine regarde les feuilles du platane animées d’étranges soubresauts que leur apporte ce léger vent d’automne. Il est ému par cette beauté simple et la douceur du moment apaise son esprit.

L’infirmière est sortie doucement avec son regard souriant, en le laissant seul dans cette petite chambre blanche de la clinique de Boisvert. Son regard flotte dans cet espace protégé et vient à nouveau se poser sur le lit. Antoine regarde sa jambe. Il regarde là où devrai être sa jambe. Sa cuisse est réduite à un moignon emballé avec talent dans des bandelettes blanches. Il ne souffre pas, il ne souffre plus. Il ressent seulement une étrange démangeaison dans le pied absent.

Il est triste. Il pense que son handicap vient de porter son nom sur la liste des unijambistes, ceux qu’il regardait autrefois d’un air condescendant. Il va devoir se fabriquer une autre vie avec l’absence d’une partie de lui-même. Une nouvelle vie dont il ne connaît pas les règles ni les enjeux. Que va-t-il devenir ? Quel est son futur ? Il est triste. Bien sûr dès son arrivée à la clinique, il a reçu des messages d’amitié. De nombreux messages de sa famille, de ses amis, de ses collègues. Bien sûr cela lui a fait chaud au cœur. Bien sûr cela lui a donné du courage. Mais il est là immobile, triste.

Il se souvient de sa joie d’avoir trouvé ce travail, cette nouvelle activité. Un travail de plein air pour lu qui n’aime pas être enfermé. Un travail rude certes, mais dans cette équipe de gars solides, il se sentait bien intégré. Le nouveau chantier avait commencé la veille : Déboiser une colline de vieux chênes pour faire place nette au passage d’une ligne électrique. Il se souvient des troncs de ce bois noble qu’ils chargeaient sur le camion. Il se souvient du câble tendu. Il se souvient du claquement sec du câble qui se rompt. Il se souvient de la brûlure sur sa jambe. Puis, il ne se souvient plus. Le noir. Combien de temps ? Il ne sait plus. Puis le blanc, le blanc de cette chambre. Le blanc des personnes qui s’agitaient autour de lui. Les mots calmes, la voix douce d’un médecin qui lui explique : Nous n’avons pas pu garder votre jambe. Des mots qui veulent rassurer avec cette sentence terrible. Des larmes qui perlent et qui embrument la vue. L’axe d’une vie qui se tourne vers l’incertain, vers un nouvel espace de vie, vers un inconnu qui fait peur. Il regarde la pendule. Toutes les minutes il regarde la pendule. Le temps lui semble arrêté. La fatigue, le médicament, il s’endort, triste.

 

 

© Pierre Delphin – octobre 2010