Jeudi 10 juin 2010, c’est la dernière séance de l’atelier d’écriture. La joie d’être ensemble se partage avec la tristesse de la séparation imminente. J’entre dans la salle de travail, quelques mots sur le tableau en guise d’accueil :
« Le train de l’animateur est bloqué. Commencez sans lui. Consigne de travail : Carte blanche. »
Nous nous sommes assis, la plume à la main, les regards s’échappent, frôlent le plafond, à la recherche d’une inspiration céleste. Un sourire vient se poser au coin de ma bouche, peut-être un rictus et ma plume vient rejoindre ma page blanche pour laisser cette trace :
J’aime liberté. Plus que tout. Jamais. Je n’ai jamais aimé les contraintes, ah ça non ! Lorsque je prends ma plume, j’aime bien la poser sur le papier, attendre une brise du vent de l’inspiration pour qu’elle s’agite et laisse sa trace violette sur la feuille blanche.
Ah, ça non, je n’aime pas les contraintes. D’ailleurs je viens à l’atelier d’écriture dans cet état d’esprit : être libre. Être libre de ce que je pense, être libre de ce que je fais, de ce que je dis, de ce que j’écris. D’ailleurs, plus d’une fois à l’écoute – peu attentive – de la consigne de l’animateur, j’ai dérivé. Disons le sans ambages, j’ai complètement oublié la consigne.
Oublié, peut-être pas complètement. De cette consigne, j’ai cueilli un mot, une sonorité qui est allée gratter à la porte des vibrations sensibles de mon esprit. À peine entrebâillée, la porte a laissé glisser les mots parfois pas très ordonnés vers la feuille blanche. La trace violette commençait à teinter ma feuille. Puis la trace s’est organisée, les mots sont devenus phrases, les phrases messages, parfois même poèmes.
Au fait, c’était quoi la consigne de l’animateur ? Qu’importe, elle s’est envolée vers… vers le champ des initiateurs de créativité, vers la prairie paisible de la libre imagination, vers cet espace où l’on émerge sans contraintes, sans tabous. Frustré, l’animateur ? Même pas ! Derrière les mots de la consigne, il avait caché une consigne subliminale : Soyez libre d’écrire ! Quelle joie d’être libre ! Quelle joie de partager cette liberté avec des amies. Dans le silence de l’écriture explosent les bulles de ce champagne de bonheur partagé.
Mais aujourd’hui une chaise est vide. Absence. L’absence dans un groupe est une amputation de la cohérence, de la congruence. C’est un déséquilibre. Mais, plus que cela, un groupe, sans animateur, c’est quoi au juste ? Un corps sans âme ? Un esprit d’où la pensée s’évapore ? Ah, que l’absence est lourde à porter disait le poète… absence, absence. Merci monsieur Bell de nous avoir inventé le téléphone. Un coup de fil pour se relier. Un coup de fil sans fils. Être attaché sans liens.
Information : Le train est bloqué. Les roues ne roulent plus, les rails se rejoignent dans l’infini d’un aller simple. Pas si simple pour lui d’aller à son cours quand les roues du train s’arrêtent pour bavarder avec les chardons de la voie. Au bout du fil sans fil une voix pour dire que la consigne du jour, c’est : Pas de consigne. C’est carte blanche !
Hé là l’animateur, c’est un peu fastoche, c’est de la dérobade. Hé je ne marche pas, c’est de la triche ! Pas de consigne à la légère ! Pas de consigne comme ça, j’aime ma liberté, moi ! Carte blanche, carte blanche et puis quoi encore ! Voilà l’animateur qui pour la dernière séance nous impose d’écrire ce que l’on veut. Quand même ! Comment pourrai-je transgresser une telle consigne ! Où sera le plaisir ? Ma plume s’arrête à la divergence des routes de la créativité, l’encre s’évapore comme mes pensées dans le silence bruyant du papier que l’on gratte.
© Pierre Delphin – juin 2010