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L'écritoire du baladin
L'écritoire du baladin
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16 mai 2010

Enfance (1/2)

Paul aura bientôt 9 ans…

La bouche grande ouverte, Paul émet un bâillement à s’en décrocher la mâchoire. Il peste contre ces satanés coqs qui rivalisent de cocoricos alors qu’il est encore très tôt et qu’il a encore sommeil. Cependant il essaie de reconnaître ou de différencier les cris du coq brun surnommé Aldebert et ceux du blanc que ses maîtres appellent, par jeu, Isidore. Un instant, il écoute attentivement leur langage ; sont-ils en train de discuter ? Que se racontent-ils ?

Constatant qu’il ne pourra plus dormir, il se lève. Dans le lit à coté, Alexandre dort d’un sommeil profond. Lui, il est habitué aux bruits de la ferme et le chant des coqs ne l’indispose pas. Il récupère les sandales neuves achetées par maman avant de partir en vacances. De belles sandales bleues avec trois rayures blanches achetées dans un magasin à la mode. Il sort sur le palier, passe devant la chambre des filles où dort Isabelle. Pas de bruit. Il descend les escaliers qui craquent à chaque marche, refusant de le laisser descendre incognito. Tatan Albertine est là dans sa cuisine qui fait un grand sourire et lui tend ses bras aux manches retroussées.

- Alors le grand garçon, il a bien dormi ? Je parie que c’est les coqs qui t’ont réveillé ? Je demanderai à tonton Charles de les enfermer la nuit dans la remise au fond de la cour.

Paul fait quelques pas rapides vers les bras tendus et échange une grosse bise avec tatan Albertine. En fait, ce n’est pas vraiment une tante, juste une amie de la famille de maman, mais tellement proche, tellement gentille qu’elle est considérée comme membre du cercle familial.

- Tu veux déjeuner tout de suite ?

- Non, tout à l’heure avec Alexandre et Isabelle.

- Tu as raison, ils ne vont pas tarder. Tonton Charles est parti au village, va donc dans la cour pour profiter de ce beau soleil.

Dans la cour, Paul court derrière les coqs, qui affolés partent se cacher dans le champ d’à coté.

- Sales bêtes ! Sales bêtes ! crie-t-il en riant. Il vient s’asseoir sur le banc, grande pierre taillée posée sur deux morceaux de rocher. Il est au soleil, il est bien. Il regarde devant lui les collines boisées de sapins au vert sombre. Dans le grand champ de blé, il voit un agriculteur qui ramasse sa production annuelle avec une grosse machine qui fait beaucoup de bruit et de poussière. C’est la troisième année qu’il vient en vacances chez Charles et Albertine, il aime y retrouver des images récurrentes comme celles du rythme des saisons.

Un large sourire éclaire son visage d’enfant quand il pense que dans un moment, Béatrice va arriver, elle aussi chez Charles et Albertine. Béatrice est leur nièce, elle a le même âge que lui, et comme lui, vient depuis trois ans passer ses vacances à la campagne. Quand ses parents, en ouvrant une lettre, lui ont dit qu’il allait passer deux semaines à la ferme, sa première question avait été :

- Est-ce que Béatrice sera là ?

Ses parents avaient éclaté de rire et lui, devenu tout rouge s’était réfugiés dans sa chambre. Le sujet n’était pas revenu dans la discussion pendant le repas, par contre sa mère, après l’avoir bordé dans son lit, lui avait caressé le front en l’embrassant. Elle lui avait dit en parlant doucement comme une confidence :

- Oui Béatrice sera aussi à la ferme, je sais que tu l’aime bien, tu as raison. C’est une fille qui est très gentille et toujours gaie, et en plus elle est jolie ! C’est important dans la vie d’avoir des amis, ce sont eux qui viendront t’aider lorsque tu en auras besoin.

Ce soir là Paul n’a pas répondu à sa maman, pas avec des mots. Il l’a seulement pris son cou dans ses bras, l’a serré bien fort en posant sa joue contre la sienne. La chaleur qu’il a ressentie valait tout les commentaires, il s’endormit rassuré et serein. C’est ce soir là qu’il a commencé de comprendre la différence entre ami et copain, cette différence que l’on exprime avec le fond de son cœur.

Tout en continuant de regarder le paysage et plus particulièrement les poules qui viennent picorer peu loin de ses pieds, il entend un chahut dans le grand couloir de la maison. Isabelle et Alexandre déboulent par la porte en courant. Comme à son habitude Alexandre cherche à tirer les cheveux de sa sœur. Il la laisse filer et dit :

- Oh Paul, tu es là ! Viens, on va déjeuner sur la terrasse de derrière.

En essayant d’esquisser un programme d’occupation pour la journée, ils traversent la maison et trouvent Albertine en train d’aligner les bols et de couper de belles tranche de pain qu’elle pose à côté du beurre et de ses confitures.

Chacun boit en silence une première gorgée de ce chocolat chaud que seule Albertine sait faire aussi bon. Quand ils attrapent les pots de confiture, leurs yeux brillent de cette gourmandise faite de toutes les émotions gustatives qu'un enfant éprouve lorsque sa langue vient délicatement lécher le dessus de la tartine ou sucer le doigt tombé par inadvertance dans le pot. Il faut dire qu’Albertine s'est encore surpassée après sa confiture faite avec les fraises du jardin. Mais déjà leurs bavardages reprennent. Ils parlent de l'école tout juste finie...

- Nous notre maîtresse nous a passé un film sur les animaux du pôle Nord...

- Ben nous, elle nous a emmené au parc de la Tête d’or voir la plaine africaine. Il y avait des girafes plus hautes que la maison...

- Y avait un ours blanc très très très grand qui attrapait des poissons avec ses griffes...

-...

- Fais voir tes sandales, elles sont chouettes...

- Maman, je pourrais avoir des sandales comme ça ?

- Mais tu en as des sandales !

- Oui, mais elles ne sont pas si jolies !

- Oui, mais que veux-tu, il faut savoir se contenter de ce que l'on a. Et puis, la semaine dernière, je t’ai acheté un pull neuf. Il est joli ! Non ?

- Oui, mais...

- Tu sais l'argent pour acheter, nous ne le fabriquons pas...

- Comment fait-on pour gagner de l'argent ?

- Oh ! Je ne connais qu’une solution : travailler, beaucoup travailler !

- C'est pour ça que papa travaille beaucoup?

- Oui bien sûr !

- Alors, il a beaucoup d'argent ?

- Même pas ! Tu sais, dans le métier de l'agriculture, on n'est jamais très riche ! Bon, maintenant que vous avez fini, vous débarrassez la table, vous lavez vos bols et hop une heure de devoir de vacances.

- Non maman, j'ai pas envie, et puis Paul vient d'arriver...

- Ce n'est pas une raison, les bonnes habitudes, c'est le premier jour que ça se prend. Paul a sans doute son cahier de devoir aussi. N'est-ce pas Paul ?

- Heu... Oui... Je vais le chercher dans mon sac.

-...

- Tu fais quoi ?

- Des jeux avec des nombres. Et toi ?

- Des mots qu'il faut corriger. C'est dur !

-...

Est-ce les bavardages entrecoupés par la réflexion ou la réflexion entrecoupée par les bavardages, mais l’heure studieuse avance et vite ils plient les cahiers, qu’ils montent dans leur chambre pour demain.

Albertine vaque à ses occupations ménagères tout en gardant un œil sur la table de travail des enfants. Elle les aime, elle a un petit sourire en regardant les jambes qui se taquinent sous la table. Elle s'amuse de les entendre parler dans leur langage si particulier. Elle apprécie leur gentillesse, sans même se rendre compte que c'est le fruit de l'éducation qu'elle a su leur donner, elle qui n'est pas bien savante, qui n'est pas allé très longtemps à l'école.

à suivre…

© Pierre Delphin – avril 2010

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Commentaires
H
Que de beaux souvenirs tu réveilles avec ce texte ! Des vacances dans le Morvan, à la ferme de mon grand père maternel, à jamais engrangées dans la partie la plus précieuse de ma mémoire.<br /> Merci et bonne journée <br /> Hélène
M
L'air de Brides a favorisé son imagination. Une histoire simple dont il me tarde de connaître la suite ...<br /> Bon début de semaine - bisous<br /> Monelle
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