En rentrant de son travail, Jean Charles trouve dans son courrier une enveloppe contenant deux feuillets. L’un manuscrit où il reconnaît l’écriture hésitante de sa mère. Elle est dans sa 92ème année. L’autre est dactylographiée à l’entête de la résidence qui héberge sa mère. Il prend la lettre de sa mère en premier.
Mon cher Jean Charles,
Ce petit mot pour prendre de tes nouvelles. Comme vous devez être occupés Élise et toi par votre travail. Vous sembliez déjà fatigués lorsque je vous ai vu la dernière fois à la fin de l’hiver. Ici les feuilles commencent a changer de couleur et parfois le vent se fait plus fort, l’automne arrive.
Vous devriez faire attention à votre santé et prendre plus de jours de repos. Croyez-moi, à votre âge on ne se rend pas compte de la fatigue que l’on accumule, et on la retrouve plus tard. Enfin si vous aviez quelques jours de congé, passez me dire un petit bonjour à la résidence, cela me ferai plaisir. Mais je comprends vos difficultés.
Pour moi, ne vous inquiétez pas. Je vais bien à part quelques détails. J’avais un peu mal à mes jambes, alors le Directeur de la résidence a eu la gentillesse de me prêter une chaise roulante. C’est bien pratique. Ici tout ce passe bien, en général, nous mangeons bien, même si le cuisinier se rate de temps en temps.
Au mois de mai, ils ont été très gentils de faire une journée pour la fête des mères qui n’avaient pas eu de visite. La semaine dernière, ils m’ont fait la surprise de m’offrir une écharpe pour mon anniversaire. Tous les résidents ont chanté et j’ai soufflé mes bougies. Dommage que vous n’ayez pas pu venir, vous m’auriez aidé à souffler. Les plus valides ont dansé, ils avaient mis des disques de valses et de tangos.
Les petites prennent bien soin de moi, elles sont obligées maintenant de m’aider pour me coucher le soir. Je suis très essoufflée. Le docteur a dit que j’avais des problèmes avec mes artères. Elles commencent à se boucher. Il m’a dit que j’étais trop âgée et trop faible pour faire une opération, alors ils me donnent des cachets le soir et à midi. Mais enfin, il ne faut pas trop que je me plaigne, il y a ici des personnes plus mal en point que moi.
J’espère que pendant l’hiver qui vient tu trouveras un moment pour venir m’embrasser, cela me ferai tant plaisir. Je me rends compte que je suis toujours égoïste, je ne pense qu’à moi ! Fait comme tu peux, ne t’inquiète pas pour moi.
Embrasse Élise pour moi,
Ta maman qui t’aime.
Lettre dactylographiée
Cher monsieur,
N’ayant pas pu vous joindre au téléphone, je suis triste de vous informer que votre mère est décédée ce matin d’une crise cardiaque. Nous pensons qu’elle n’a pas souffert.
Conformément à notre contrat, son corps a été transféré au centre funéraire de la ville.
Merci de faire rapidement le nécessaire pour retirer ses affaires de sa chambre afin que nous puissions en disposer pour un nouveau résident.
Nous avons trouvé sur sa table la lettre ci-jointe qui vous était adressée. Elle a été écrite hier.
Je vous prie de croire Monsieur à l’expression de nos salutations dévouées.
Charline Labèle, directrice
Jean Charles referme soigneusement les deux correspondances et appelle son épouse :
- Élise, as-tu le numéro de téléphone du notaire ?
© Pierre Delphin – mars 2010