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L'écritoire du baladin
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11 janvier 2010

L’objet

Belle journée de soleil, je suis rue de la République avec l’objet dans la main. Heureusement, il n’est guère lourd, mais sa forme ne permet pas une réelle prise en main. Je me sens très fier de le posséder.

Il me revient en tête une phrase entendue dans un film : - Quand on fait un vrai cadeau, on doit sentir un manque, une absence. Cela est une bonne idée. Je me sens généreux aujourd’hui, alors je décide de faire cadeau de mon objet à quelqu’un. Mais je dois choisir une personne qui, à priori bien sûr, le mérite car je ne veux surtout pas que cet objet soit dilapidé.

Ce soleil me rend gai et avenant, aussi quand je rencontre un jeune couple qui se tient par la taille, je m’approche d’eux avec un grand sourire :

- Bonjour jeunes gens, voilà j’ai cet objet et je voudrai en faire cadeau à quelqu’un, est-ce que je peux vous l’offrir ?

Pendant que la jeune fille prend un air dégouté, l’homme me regarde d’un air dur et fait un écart en entrainant sa compagne :

- J’en veux pas te ta saloperie, connard !

Stupéfait, je le regarde filer, il propulse son aimée presque en courant. Je n’ai pas eu ni le temps ni la présence d’esprit de répondre à sa grossièreté. Je regarde mes mains rouge de confusion, une saloperie ça ! Quand même !

Pour me remettre de mes émotions, je vais m’assoir à la terrasse d’un bistro et je commande une pression. Au serveur, je précise : bien fraîche ! En s’éloignant, il me dit : nous ne faisons pas la bière chaude. Oh là là, encore un qui est mal tourné ! Il revient, pose ma bière en jetant un œil sur l’objet que j’ai posé sur la table. D’un air dégouté, il prend mon billet, me rend la monnaie et repart sans un mot. Une dame élégante et distinguée s’installe à la table à coté. Je me dis : Enfin quelqu’un qui sait la valeur des choses, je me penche vers elle :

- Chère madame, est-ce que cela vous ferait plaisir que je vous offre ce bel objet ?

Elle se lève brusquement, bouscule sa chaise et sa table et repart courroucée. C’est tout juste si elle ne me crache pas à la figure :

- Pour qui me prenez-vous Monsieur ?

Elle traverse la rue pour aller s’installer à la terrasse du bar d’en face lorsque le serveur qui me fait un regard en colère estimant que je viens de lui faire rater une vente.

Le comportement de toutes ces personnes commence vraiment à m’agacer. Puisqu’il en est ainsi, cet objet je vais aller le vendre chez l’antiquaire qui est juste à coté. Je prends le temps de finir ma bière et je rejoins le magasin d’antiquité à qui j’ai déjà acheté quelques bibelots.

Un carillon sonne lorsque je pousse la porte. L’antiquaire arrive, un grand sourire d’accueil sur son visage. Je souris aussi et lui dit après un rapide bonjour :

- Êtes-vous intéressé par l’achat de cet objet ?

Son sourire s’efface en un instant, son œil se fait sévère, il me montre la porte du doigt :

- Filez vite, sinon j’appelle la police.

Je me retrouve sur le trottoir en serrant l’objet contre moi. Je suis déconcerté. Déconcerté et triste. J’en ai marre. Je rentre chez moi.

Je pousse la porte et je m’apprête à frotter mes chaussures sur le tapis d’entrée. Geste banal, habituel. Ma femme vient à ma rencontre prête à m’embrasser. Mais quand elle voit l’objet elle s’écrie :

- Fout le camp d’ici je ne veux pas voir ça chez moi.

Je me retrouve éberlué sur le palier puis dans la rue. J’aperçois un mendiant dans une chaise roulante avec une pancarte : « Pour un infirme sans pension, Merci ». Je vais vers lui :

- Tenez c’est un cadeau !

Et là je suis obligé de m’asseoir un instant sur un banc car le mendiant s’est levé d’un coup, est parti en courant, laissant sur place la chaise roulante et la pancarte.

J’ai vraiment la tête ailleurs quand je traverse la rue et je n’ai ni vu le bus ni entendu son klaxon. Je ne me rends pas compte non plus quand un policier tire la fermeture éclair qui ferme le linceul dans lequel je sui enfermé. Il est bien évident que je n’entends pas non plus la sirène de l’ambulance qui m’emporte à la morgue.

Je contourne quelques cumulus avant de trouver Saint Pierre assis sur un fauteuil fait de brume blanche et pure. Les bras tendus pour m’accueillir :

- Soit le bienvenu mon ami, soit le bienvenu, parmi nous au paradis. Mais que tiens-tu serré dans tes bras ?

Je lui montre l’objet que je n’ai jamais lâché. Avec violence, il m’arrache l’objet des mains, le jette par-dessus un nuage un peu noir. Triste, je vois l’objet retourner sur terre.

Si par hasard en vous promenant, vous trouvez l’objet, laissez le, ne le touchez pas. Ce n’est vraiment pas un porte bonheur.

Pierre Delphin – janvier 2010

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Commentaires
A
"avoir le cœur sous la main", le vôtre était-il sur la main, sanguinolent et offert?<br /> Avez-vous lu "le Cœur Cousu"?<br /> Any<br /> En tout cas St Pierre n'est pas cardiologue (dans ma version)...il aurait pu le greffer!
V
J'ai apprécié ce texte, pour moi c'est une évidence, on laisse, on distribue son coeur toujours quelque part et pas toujours au bon endroit - Les autres ne le voient pas sous cet angle et même ça les é^coeur^e sous un trop plein d'égoïsme - La peur ou l'indifférence de l'autre est une grande générosité que l'on ne comprend pas lorsqu'on la reçoit - Bonne journée
M
Je me connais, je vais encore me casser la tête pour savoir ce que c'est. Merci pour cette énigme, ça fait du bien de sentir que je ne suis pas blasée et que des choses éveillent encore ma curiosité de petite fille!<br /> <br /> Elisa
M
certaines choses nous sautent aux yeux sans qu'on le veuille, "à l'insu de notre plein gré".<br /> <br /> C'est bien de voir votre conte continuer dans les commentaires, <br /> à suivre...
A
c'est ce truc venu du ciel qui a déglinqué ma véranda alors!
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