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L'écritoire du baladin
L'écritoire du baladin
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6 janvier 2010

Allo, c’est la police…

.

Il bruine un peu sur la place Bellecour lorsque je sors de la librairie où je suis venu en une sorte de pèlerinage satisfaire mes envies d’ailleurs. Dans le tumulte de la circulation d’avant midi où chacun se presse pour retrouver son assiette, une petite note aigue s’échappe de la poche de ma veste. L’écran de mon Samsung affiche : - Vous avez un message, composez le 888. Je m’enfonce dans une allée d’immeuble pour retrouver un semblant de sérénité auditive et compose le triple 8, une voix d’homme se présente après un rapide : Bonjour.

- Inspecteur Duberger(*) de la gendarmerie de Besançon, merci de me rappeler au 00 11 22 33 44 (*)

Mon esprit s’échauffe un peu, la gendarmerie ! Qu’est-ce qui se passe ? Un voile d’inquiétude passe au-dessus de ma tête. Je m’enfonce dans l’allée l’air inquiet et compose le numéro. La même voix lance un allo sonore et me remercie de mon appel. Le ton est ferme et courtois. Une présentation rapide de sa fonction, il enchaîne :

- Je suis chargé d’une enquête sur le crime d’une personne dans la région de Luxeuil, est-ce que vous connaissez des personnes dans cette région ?

Je laisse passer un instant pour connecter mes synapses aux étagères de ma mémoire.

- Non, je n’ai ni ami, ni anciennes relations professionnelles dans cette région.

- Connaissez-vous cette région ?

- Oui, seulement pour y être passé régulièrement pour aller de Besançon à Épinal. Mais il y a très longtemps de cela.

- À quelle époque ? Quelle était la raison de ces voyages ?

- En 1985, à une ou deux années près. Je travaillais comme conseil en entreprise dans une usine située à Arche. Puis-je savoir en quoi je suis concerné par cette affaire ?

- En décembre 2008, vous avez échangé des SMS avec le compagnon de la victime.

- Quoi !

- Nous avons les relevés de SFR qui en font foi. Pouvons-nous nous rencontrer ?

- Bien sûr, quand et où ?

- Après demain jeudi à la gendarmerie de La Verpillière, c’est bien là que vous résidez ?

- Oui, pas de problème pour jeudi, à quelle heure ?

- 17 heures, est-ce que cela vous convient ?

- C’est d’accord, à jeudi 17 heures, gendarmerie de La Verpillière.

- Merci, au revoir.

Je raccroche perplexe. Cela ne semble vraiment pas être un canular téléphonique. Je me sens serein par rapport à cette affaire. Mais je n’arrive pas à déchirer le voile d’inquiétude devant mes yeux. Mon cerveau tourne à toute vitesse, mais dans le vide. Je reste ainsi deux jours en attente. Je parle un peu de l’événement avec des amis, je plaisante avec eux : Si je suis en prison pour crime, apportez moi de la lecture.

Jeudi 16 h 55 je fais sonner à la gendarmerie du village pour que la porte se libère. J’espère que je ne vais pas tomber sur un excessif qui veux absolument un coupable avant la fin de la soirée. J’ai toujours considéré la connerie comme intemporelle et universelle, il n’y a pas de raison qu’elle n’existe pas dans tous les métiers. Un jeune gendarme m’ouvre et m’accueille.

- Bonsoir, j’ai rendez-vous avec monsieur Duberger.

- Qui c’est ça ?

Un collègue passant à coté lui dit : - Il est dans le bureau du fond. À ce moment un homme jeune arrive et me tend la main :

- Bonjour, je suis l’inspecteur Duberger, merci d’être venu. Venez, suivez-moi.

D’un couloir nous passons dans un autre couloir, puis un petit bureau. Dans sa conception initiale, ce bureau devait être confortable pour une personne ; mais avec deux bureaux, deux ordinateurs, deux meubles de rangement cela devient très inconfortable. Pauvre gendarmerie ! Derrière l’un des bureaux, une jeune femme a poussé un peu l’écran pour pouvoir installer son ordinateur portable. Elle me salue en me tendant la main, elle aussi est inspecteur ou plutôt inspectrice. Le premier installe deux chaises dans le faible espace restant disponible et nous nous asseyons face à face, presque genoux contre genoux. Il reprend la parole :

- Nous sommes là dans le cadre d’une enquête pour homicide sur la personne d’une jeune femme âgée de 24 ans dans la région de Luxeuil. Cette affaire remonte à février de cette année.

Le décor est planté et je me demande bien ce que viens faire dans cette affaire. Le ton de l’inspecteur est sérieux et courtois, mais je suis quand même un peu inquiet. C’est fou comme le fait d’être dans cette ambiance, donne un pressentiment de presque culpabilité ! Il reprend :

- En premier lieu, nous vous demandons de confirmer votre identité. Avez-vous votre carte d’identité ?

- Oui, voici.

Je décline mon identité, mon adresse, ma profession, l’identification de mes parents, enfin ils font connaissance avec moi d’une manière très complète. Leurs question sont simples, directes, standardisées. Il n’y a pas d’agressivité dans la voix, seulement de la précision.

- Parlez-nous de vos passages à Luxeuil.

- C’était autour des années 85, 86, j’avais un client à Arches un peu avant Épinal. Je dormais à l’hôtel à la sortie de l’autoroute et reprenais la route tôt le matin. Je passais vers Luxeuil par la déviation de la ville, c’est tout.

- Vous nous confirmez que vous ne connaissiez personne à Luxeuil ou dans la région.

- Je vous le confirme en effet.

La collègue tape rapidement sur son clavier, ne laissant pas perdre les éléments de la conversation. Elle répète mes réponses en les tapant pour me donner la possibilité d’intervenir, et pour être sure que son enregistrement est bien conforme.

- Que faisiez-vous comme métier chez ce client ?

- Du conseil et de la formation.

- Du conseil en quoi ?

- Du conseil en organisation de la gestion de la qualité.

Les questions formelles se mêlent à des discussions presque banales, comme si nous étions dans un salon. L’inspectrice complète la conversation disant :

- Il on fait un truc comme ça dans la boite de mon mari.

L’inspecteur acquiesce et continue toujours sur le ton de la discussion :

- Vous souvenez-vous d’avoir fait à plusieurs reprises des SMS le 24 décembre 2008 vers 19 heures 30 ?

La question arrive dans le flou de mes neurones et je mets un instant avant de réaliser qu’il s’agit de la veille de Noël.

- Désolé, mais à l’instant, je me sens bien incapable de répondre.

Pendant cette discussion, l’inspectrice continue de noter sur le clavier de l’ordinateur l’essentiel de notre discussion, questions, réponses et non réponses.

- Cependant, par commission rogatoire du juge d’instruction, nous avons obtenu de SFR le relevé des communications du compagnon de la victime, et votre numéro apparaît à plusieurs reprises, 3 exactement.

- Cela me parait étrange, puisque je ne connais personne dans cette région. Pouvez-vous me dire le nom de ce correspondant ?

- Oui, il s’agit de monsieur Gilbert Jeanjean (*) et la victime est madame Catherine Bizotte (*). Connaissez-vous ces personnes ?

- Non ces deux noms ne me disent rien. Voulez-vous vérifier sur ma liste de contact de mon portable ?

- Non ce n’est pas la peine. Pourtant vous avez passé des SMS à monsieur Jeanjean à trois reprises. Voici la fiche transmise par SFR suite à une commission rogatoire du juge d’instruction.

Je regarde attentivement la fiche, effectivement mon numéro apparaît à coté d’un autre numéro trois fois et je constate que l’heure d’appel est environ 19 heures 30, avec un écart de deux minutes entre chaque appel. Discrètement, je compose le numéro vu sur la fiche, et je vois apparaître : le nom d’un de mes neveux sur l’écran. Là ma gamberge s’excite un peu, et le flou que j’avais par rapport à cette date et aux circonstances, s’estompe brusquement.

- Puis-je revenir sur une réponse que je vous ai faite il y a un instant ?

- Bien sûr, de quoi il s’agit ?

- Des SMS passés le soir du 24 décembre.

- Intéressant, nous vous écoutons.

- Oh, l’histoire est banale, c’est l’heure et l’espace de temps entre les envois que j’ai vu sur ce document qui ont remis ma mémoire en ordre. Ce soir de veille de Noël, nous attendions des invités, tout était prêt et je m’accordais un instant de repos sur le canapé du salon dans l’attente d’entendre tinter la cloche du jardin. J’avais mon téléphone en main et j’ai voulu essayer la fonction d’envoi de message à plusieurs destinataires. Je tape un banal « Joyeux Noël » que j’oublie d’ailleurs de signer. J’envoie ce message à cinq ou six amis, dont mes deux neveux. Une ou deux minutes plus tard un petit bip et je reçois un message : « Merci Joyeux Noël pour vous aussi – Claude ». Ce message me confirme que mon envoi est bien passé. Nouveau bip, nouveau message en provenance de mon neveu Henri : « Merci, mais qui es-tu ? ». Je réponds du tac au tac : « Devine ! ». Là je ne me souviens plus de la réponse, il y a eu effectivement un troisième message, mais mes invités arrivant, j’ai cessé de jouer avec mon téléphone. Depuis, ces faits sont complètement sortis de ma mémoire parce qu’ils étaient pour moi assez futiles, jusqu’à ce que vous me mettiez cette fiche sous les yeux.

- Donc, en fait vous vous trouvez cité dans cette affaire seulement parce que vous avez enregistré un numéro erroné.

- D’ailleurs je viens de vérifier que ce numéro est toujours dans mon portable, voyez vous-même. Voulez-vous que je compose le numéro ?

L’inspecteur répond en riant :

- C’est parfaitement inutile, le téléphone concerné est maintenant sous séquestre !

Ayant compris qu’ils étaient sur une fausse piste, il se tourne vers sa collègue et lui dit :

- Bon, c’est une erreur d’enregistrement de numéro, nous allons en rester là.

Cette dernière acquiesce en souriant, lui se tournant vers moi me demande :

- Pour aller au bout de notre démarche, est-ce que vous acceptez une prise d’empreinte génétique ?

Je souris car cela me semble un peu délicat de refuser cela à la gendarmerie. Et puis je lui dis :

-Finalement ces tests sont aussi utiles à décharge qu’à charge !

- Bien sûr, des traces inconnues ont été relevées sur des objets de la victime. Venez nous allons nous installer sur ce bureau.

Il contourne le deuxième bureau, s’installe en débarrassant le mieux possible tout de qui l’encombre, objets ou dossiers. D’une trousse étanche il tire tout un tas d’autres sachets. Il passe une sorte de tablier, enfile des gants latex, un masque. En moins d’une minute il ressemble à un chirurgien. Il étale une nappe sortie d’un sachet. D’un autre qui semble stérile, il sort, comme si c’était le saint sacrement, une sorte de sucette dont le bonbon serait remplacé par une petite éponge. Il me tend l’objet en me demandant de garder cela quelques minutes dans ma bouche. M’étant acquitté de cette mission, je regrette que l’inventeur n’ai pas prévu un goût fraise pour ce truc là ! Nous bavardons un instant des tests génétiques qui comme il me le dit, cela leur rend des services de grande précision.

L’ayant largement chargé de mes gènes et de ceux des cinq générations qui m’ont précédé, je lui rends l’objet. Du bout des doigts il le met dans un sachet stérile qu’il scelle en collant une étiquette contenant toutes les identifications. Il me précise que ce relevé génétique ne sera pas enregistré dans un fichier. Je fais semblant de le croire, cela n’a d’ailleurs pas d’importance pour moi. Sa collègue nous rejoint après avoir imprimé son rapport d’entretien. Elle se tourne vers moi :

- Merci de relire ce rapport attentivement et de le signer.

Je commence la lecture, il y a deux pages de dactylographie fine. Cette personne peut revendiquer un poste de secrétariat de direction. Le texte est concis, précis sans fautes d’orthographe ou de grammaire. Il reprend d’une manière claire ce qui a été dit. Je signe. Je reste cependant déçu du refus de me donner une copie. Hors procédure me dit l’inspecteur. Soit !

Il me tend la main en me remerciant de ma participation et de mes réponses. Je lui demande s’ils repartent ce soir pour Besançon.

- Non nous allons rester dans la région pour la nuit, nous avons un autre rendez-vous dans une petite ville de Haute Savoie demain matin.

Nous nous saluons sympathiquement et je prends congé. Dans la rue, je ressens une sorte de soulagement, c’est très bizarre comme sensation. C’est vrai que tout au long de ma vie, je n’ai pas été habitué aux interrogatoires de police.

Arrivé à la maison, je retrouve mon épouse hilare qui me dit :

- Ah, ils t’on relâché, je t’avais acheté des oranges, des sanguines !

J’aime bien son humour décalé, mais j’ai encore une petite chose qui trotte dans ma tête. En principe, quand je note un numéro de téléphone, je ne me trompe pas. J’appelle mon neveu chez lui puisque le numéro de portable est erroné. Après quelques échanges banals sur la famille j’en viens à ma question :

- Henri est-ce que ce numéro de téléphone te dit quelque chose ?

Je lui cite le numéro du portable responsable de ma visite embrigadée.

- Oh, ça ce doit être un vieux numéro de portable quand je travaillais chez… mais il y a longtemps qu’il n’est plus valable.

- Bon ça va j’ai compris !

- T’as compris quoi ?

Je lui explique les grandes lignes de mon aventure, et je conclus avec lui que ayant abandonné sa ligne lorsqu’il a quitté son employeur, SFR l’a redonné à une autre personne qui s’est trouvée être le compagnon d’une jeune femme assassinée. Je comprends du même coup pourquoi mon interlocuteur de Noël semblait ne rien comprendre. Je ne dialoguais pas avec mon neveu, mais avec une personne inconnue.

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Moralité : Vérifiez de temps en temps la validité des numéros enregistrés dans la mémoire de votre téléphone !

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Cette aventure n’est pas une fiction, elle m’est réellement arrivée en novembre 2009. Elle m’a laissé un goût étrange dans la mémoire et a eu au moins le mérite de me donner un sujet d’article pour mon blog.

(*) Non, je ne vous donnerais pas, ni les vrais noms, ni le vrai numéro de téléphone ! Quand même !!

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Commentaires
H
Ouh là ! Angoissant au possible cette histoire ! Du coup, moi qui me disais qu'il faudrait bien que je me décide à mettre en mémoire dans mon portable les numéros que j'appelle le plus souvent, je vais m'abstenir !
M
Je connaissais l'histoire et pourtant j'ai eu du plaisir à la lire, comme une histoire que me racontait grand papa, le soir. <br /> Par contre, je suis surprise : pourquoi un gout de fraise ? J'aurai plutôt pensé au gout de l'entrecôte ou d'un bon vin, te concernant.
F
Pierre, vous tenez là le début d'un polar!!!<br /> Le héros n'en reste pas là, il mène sa propre enquête et découvrir une affreuse histoire concernant (au choix)<br /> 1/ la traite de jeunes femmes turques.<br /> 2/ l'infiltration des entreprises françaises par les membres d'une secte visant à dominer le monde.<br /> 3/ une série de crimes affreux filmés par un téléphone portable.<br /> 4/le trafic d'une nouvelle drogue qui donne le pouvoir de croire encore au père-noël.<br /> <br /> Bon, là, je cale... à vous de jouer :-)
M
Comme quoi la vie peut nous réserver de drôles de surprises !<br /> Je suppose que vous êtes de nouveau sous la neige - ici, pas encore... tant mieux !<br /> Bonne journée<br /> Bisous à vous deux - Monelle
T
Tiens tiens... tu es venu travailler vers chez moi !!!<br /> De l'autre côté de la Moselle, plus exactement, car il n'y a pas d'usines dans ma "petite Arches" :-))
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