Lettre d’Amélie
Paul,
J’ai reçu votre lettre. Je l’ai lue avec attention et c’est à la deuxième lecture que de petites larmes d’émotion ont troublée ma vue. Quarante ans, c’est loin, Bernadette et Lucien sont déjà grands parents.
Je dois vous l’avouer, cette soirée était dans ma mémoire éteinte. Notre rencontre à l’opéra et surtout votre lettre l’ont ressuscitée, éclairée comme on allume une bougie pour créer une chaleur dans une pièce où l’on attend des amis.
Bien sûr ma mémoire est redevenue claire avec beaucoup d’images de cette soirée. Plus particulièrement les images d’un jeune homme plein de gaîté, de douceur, de prévenance. Je me souviens de vos rires qui allumaient nos rires. Je me souviens de vos gestes de douceur qui impliquaient mes gestes. Je me souviens de ce matin brumeux où dans un rire nous nous sommes embrassés avant de rejoindre nos voitures. Je me souviens de ma nostalgie pendant quelques mois de cet homme entraperçu le temps d’une journée de fête et déjà éclipsé. Je me souviens que la vie a continuée.
Oui je suis troublée par votre lettre. Je l’ai rangée dans un coffret personnel comme une jeune fille cache la lettre de son premier amour. Aujourd’hui j’ai 65 ans moi aussi ! Je suis mariée depuis 38 ans. Nous avons 3 enfants et 5 petits enfants. Nous sommes une famille heureuse.
Votre lettre sollicitait une réponse, la voici. Elle sollicitait aussi une rencontre. Je ne pense pas que cela soit souhaitable. Comme vous j’en aurai sans doute du plaisir ; mais j’ai peur de réactiver des sentiments, des désirs que nous ne pourrons pas satisfaire. Cette décision m’est douloureuse. Gardez ma lettre comme je garde la votre. Cette journée de vie partagée reste, restera une petite étoile de bonheur que nous devons à Bernadette et Lucien.
Je vous voudrais, enfin, je vous espère heureux.
Amélie
© Pierre Delphin – novembre 2009