Mystère chez l'épicier
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Gamberge les bois, le 15 mai 2009,
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À l'attention de : Monsieur Jean Dunase inspecteur de police.
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Monsieur,
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J'ai eu votre nom par la personne chargée de l'accueil de votre commissariat. Il faut dire que j'était passé vous voir parce que j'avais quelque chose à vous dire. Alors elle m'a dit de vous écrire.
Tout d'abord il faut que je vous dise que moi aussi je suis du métier. Jusqu'à il y a trois ans, j'étais moi aussi inspecteur de police. Mon commissaire a eu la gentillesse de demander ma mise en retraite anticipée parce que j'avais suffisamment travaillé comme ça, comme il a dit.
Quand j'étais du métier, mes copains m'appelaient "la fouine" parce que j'étais toujours chargé des surveillances et des planques. Alors même à la retraite, il y a des choses qui restent.
Bon, comme disait mon commissaire, venons-en aux faits. Que je vous dise d'abord, j'habite au 17 de la rue du marché aux herbes, juste en face de l'épicerie: "chez Marcel". De ce fait de la fenêtre de mon premier étage, je vois tout ce qui se passe devant et à l'entrée de cette épicerie. Comme je m'ennuie un peu pendant cette retraite, je suis souvent à ma fenêtre.
Voilà, j'ai constaté des choses qui me paraissent étranges. Mais peut-être que je me fais des idées. Tous les soirs un peu avant le journal télévisé, il ya un homme qui vient et qui apporte un carton. Monsieur Marcel prend vite le carton et l'emmène dans son arrière boutique, là où il a sa cuisine. Puis cet homme repart vite dans sa voiture, une Alfa Roméo rouge immatriculée 769 TRU 75. C'est sans doute un parisien.
Vers huit heures et demie, c'est le buraliste, Monsieur Émile que je vois arriver avec un carton. Celui du tabac de la rue Quinbancoix Il le donne à l'épicier qui lui donne une enveloppe.
Quand on a été la fouine, on reste la fouine et je sens là quelque chose de bizarre. Sans vous commander, je pense que vous devriez jeter un œil de ce coté là. Moi je reste aux aguets derrière mon rideau. (J'ai encore les jumelles de service que mon commissaire m'a autorisé de garder)
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Antoine Bustard, ancien inspecteur de police.
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Gamberge les bois, le 19 mai 2009,
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À l'attention de : Monsieur Jean Dunase inspecteur de police.
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Monsieur,
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Je n'ai pas eu de réponse de votre part à mon courrier du 15. Vous êtes sans doute très occupé. J'ai connu ça. Moi de mon coté, je ne suis pas resté inactif. J'ai gardé l'œil ouvert. Voilà ce que j'ai constaté de nouveau:
Dans la journée il ne se passe rien d'anormal. Des ménagères qui viennent avec le cabas faire leurs petites courses. Rien à dire.
Mais le soir le manège des cartons continue. L'homme à l'Alfa Roméo, puis le buraliste. Mais c'est pas tout.
Hier au soir, après avoir mangé un morceau. Il faut que je vous dise que je vis seul depuis la mort de mon Églantine. Hier soir donc, il devait être neuf heure, le film de la Une venait de commencer. J'ai été obligé de déplacer ma télé pour la regarder tout en surveillant dans la rue.
À cette heure là, j'ai remarqué quelque chose de spécial. Il ya trois personnes qui arrivent et qui rentrent dans l'épicerie, et l'épicier ferme derrière eux. Pour vous aider dans votre travail, j'ai noté: Il y a un homme et deux femmes. Ils sont blancs, peut-être des français. Ils ne sont pas très bien habillés. Enfin je veux dire modestement, c'est pas des riches c'est sûr. Un des femmes est plutôt petite, et l'homme n'est pas très grand.
Ce qui m'a intrigué, c'est qu'ils rentrent de manière furtive dans l'épicerie. Alors quand j'ai vu ça vous vous doutez que j'ai planqué. Deux heures et demie que je suis resté à surveiller cette porte fermée. Heureusement que j'ai pas grand-chose à faire ! Il faut dire que le nez ça se perd pas, et j'ai eu raison. Vers onze heures et demie, je les ai vus ressortir tout aussi furtivement. L'épicier n'a même pas allumé sa boutique. Ils sont repartis vers la rue Quinbancoix. Après je ne sais pas où ils sont allés.
Faite moi savoir si vous voulez que je continue ma surveillance.
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Antoine Bustard, ancien inspecteur de police.
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Gamberge les bois, le 23 mai 2009,
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À l'attention de : Monsieur Jean Dunase inspecteur de police.
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Monsieur,
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Vous n'avez pas trouvé le temps de me répondre à mes précédents courriers. Je suppose que vous avez des affaires qui vous bouffent tout le temps disponible. J'ai connu ça quand j'étais plus jeune. Je vous en veux pas et je vous souhaite bon courage.
De mon coté, je continue à avoir un œil à la fenêtre. Et je dois dire que ce petit manège continu. Je suis très perplexe. Tout ça me semble étrange, peut-être qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat, mais quand même mon nez de flic me dit qu'il se passe quelque chose de pas clair. On se refait pas.
Toutes les allées et venues bizarres se poursuivent, mais en plus, et c'est l'objet de cette lettre, j'ai vu quelque chose de nouveau. Hier au soir, tard, l'épicier était seul dans sa boutique juste avant de fermer. Alors j'ai vu arriver une grosse voiture noire. Je sais pas la marque et j'ai pas pu relever le numéro. En est descendu un homme très bien habillé, avec un chapeau. Peut-être qu'il était un peu basané, mais j'en suis pas sûr. Il est entré dans l'épicerie et a commencé à parler avec l'épicier. À un moment l'homme à regardé vers ma fenêtre, mais je suis sûr qu'il m'a pas vu. Les deux faisaient des grands gestes. À un moment cet homme a donné une enveloppe à l'épicier. Celui-ci a regardé dedans, et il semble qu'il s'est mis en colère. Je suis pas sûr, mais il me semble qu'il y avait du fric dans cette enveloppe. Pendant que l'épicier criait, l'autre l'a pris par les vêtements sous le cou et l'a amplement secoué. L'homme l'a laissé tomber sur son tabouret et puis, il est parti dans sa grosse voiture.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve pas ça très normal. Je reste attentif et à votre service.
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Antoine Bustard, ancien inspecteur de police.
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Gamberge les bois, le 27 mai 2009,
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À l'attention de : Monsieur Jean Dunase inspecteur de police.
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Monsieur,
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Bon, je n'ai toujours pas de nouvelles de votre part, et je ne sais pas si l'affaire dont au sujet de laquelle je vous ai envoyé des courriers vous intéresse. Moi de mon coté, comme on dit, je suis pas resté les deux pieds dans le même sabot. (C'est une expression de ma grand-mère!).
J'ai qu'une petite auto, mais comme elle est banale et sombre, elle passe inaperçue. Et puis j'ai encore un peu l'habitude de la filoche. Donc, tous les soirs tard je voyais sortir des jeunes avec des sacs en plastique bien chargés. Il m'a pas semblé que c'était des commissions d'épicerie. Ces dernier jours, j'ai voulu savoir où ils allaient. Alors je les ai suivis avec ma petite auto. Ils étaient deux et ont rejoint un peu plus loin une moto bleue. Ils ont mis les sacs dans les sacoches et sont partis. On n'est pas allé bien loin. Ils se sont arrêtés devant une boite de nuit: "Le pélican bleu" ils sont rentrés avec un des sacs et sont ressortis très vite sans le sac mais en rigolant. Ensuite ils sont repartis jusqu'à une autre boite de nuit: "Le callipyge". Même chose que pour l'autre, ils ont donc livré un sac. Ensuite j'ai pu continuer ma filoche, et nous somme allés à une autre boite: "La vénus verte". Là encore ils ont livré le dernier sac. En sortant ils rigolaient encore en tapant sur ce qui m'a semblé être un portefeuille.
Mais pendant qu'ils rigolaient, la grosse voiture noire est arrivée. Là j'ai vu le sigle en zigzag et je suis sûr que c'était une grosse Opel. Mais je connais pas les modèles. La plaque d'immatriculation était pleine de boue et je n'ai pas pu lire le numéro. C'est bizarre toute cette boue, parce qu'il n'a pas plu depuis plusieurs jours. Enfin j'ai vu que le gars de la voiture noire leur a fait signe de donner le portefeuille. Les deux jeunes ont fait la gueule, mais ils l'on donné. La voiture noire est repartie et j'ai voulu la suivre. Mais cette grosse bagnole est beaucoup plus puissante que la mienne et j'ai dû abandonner.
Maintenant je ne sais plus quoi faire, parce que après tout, tout cela n'est plus mon boulot. Moi je vous ai dit tout ça par conscience civique et que j'estime être un bon citoyen. Éventuellement, tenez-moi au courant.
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Antoine Bustard, ancien inspecteur de police.
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Préfecture de Police
Inspection Général des Services
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Le Commissaire Paul Derigny
À Monsieur Antoine Bustard
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Monsieur,
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Je veux vous présenter en mon nom personnel, et au nom de la Préfecture de police mes plus vives félicitation. Grâce à votre sagacité, vous avez permis l'arrestation de toute une filière de trafic de cigarettes confectionnées à base de cannabis et de tabac par trois personnes dans la cuisine de l'épicier.
Nous avons eu la chance de retrouver toutes vos correspondances dans le tiroir de l'inspecteur Dunase lors d’une perquisition. Une enquête mettait en doute sa probité professionnelle. En fait, c'était Dunase qui conduisait la grosse voiture noire. Je ne peux, et vous le comprendrez bien vous en dire plus sur cette enquête qui n'est pas totalement terminée.
De votre coté continuez à garder l'œil, mais évitez de refaire des filatures.
En renouvelant mes remerciements, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
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Paul Derigny
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