Douzième jour,

Vers huit heures le soleil entre à pleins rayon dans la chambre. Paul se réveille et regarde avec plaisir le corps de Claudine. Il lui fait une petite tape sur les fesses en lui disant :

- Est-ce que tu as faim ?

- Oui j’ai très faim, mais n’en profite pas pour me brutaliser.

- Je ne te brutalise pas, je dis seulement bonjour à ta fesse droite.

- Et la gauche tu la délaisse ?

En riant des bêtises qu’ils sont en train de dire, ils se lèvent et enfilent leurs vêtements posés sur la chaise et filent vers la salle à manger. Magnifique buffet pour le petit déjeuner, avec un peu plus de clients que la veille. Tous deux se régalent, et constatent que ce voyage les a mis en appétit. Dans le couloir en retournant dans leur chambre, ils constatent qu’il est à peine neuf heures et que leur guide leur a donné rendez-vous à dix heures trente.

Paul a pris une douche rapide et seulement vêtu de son sous vêtement, il s’étend sur le lit pour avoir un complément de repos. Lorsque Claudine sort de la salle de bain enveloppée d’une serviette, elle s’aperçoit que Paul somnole. À pas de loup sur la moquette, elle s’approche, et du bout des lèvres, pose de légers baisers sur le torse de son compagnon de voyage. Pour encore mieux goûter au plaisir de ces papillons de tendresse qui se posent sur lui, Paul fait semblant de continuer son sommeil. Cependant, une chatouille trop forte le fait éclater de rire et un baiser de Claudine le réduit au silence. Dans son élan, Claudine vient sur le lit jouer l’amazone et Paul en profite pour détacher la serviette, laissant de l’espace pour que ses mains puissent esquisser une chorégraphie de caresses sur le corps de sa compagne de voyage. Puis l’un et l’autre s’enflamment comme des brindilles au soleil de l’été. Les mains, et les bouches apportent cette volupté qui les entraîne vers le bonheur et l’extase, cette quête du plaisir que l’on donne et que l’on partage.

Dans un mouvement, Paul aperçois le cadran de sa montre et sursaute :

- Nous sommes en retard !

Claudine éclate de rire et l’embrasse.

- Que veux-tu, à notre âge, il nous faut un peu plus de temps.

En riant, Paul descend du lit et enfile ses vêtements pour la journée. Claudine fait de même, et rapidement, ils rejoignent leur guide qui les attend dans l’entrée. Nora, jeune femme de 24 ans, beau sourire sur son visage rond enveloppé dans son foulard à carreaux bruns.

La voiture et le chauffeur sont là devant la porte de l’hôtel, et à travers la circulation, ils filent voir le Sérapéum et la colonne de Pompée. Cette colonne érigée sur un monticule est entourée de ruine romaines toujours en cours de recherches Des ouvriers fouillent la terre avec une sorte de houe. Dans la visite ils entrent dans une sorte de cave qui plonge dans la terre. Nora fait remarquer des excavations dans les murs. Elle leur raconte que c’était sans doute des niches de bibliothèque, peut-être une partie de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, qui du temps de César aurait contenu jusqu’à sept cent mille ouvrages. Le chiffre laisse Claudine et Paul stupéfait. Érudite, Nora leur explique que l’on ne sait pas par qui, pourquoi ni quand a été détruite cette fameuse bibliothèque. Un conflit entre César et Pompée ? Un conflit entre Paganisme et Christianisme ? La conquête arabe ?

Un instant Nora les a laissé filer, ils se retrouvent seuls dans ce large couloir troglodyte. Claudine sert le bras de Paul :

- J’ai peur, par où c’est la sortie ?

- Ne crains rien Claudine, c’est par là.

En jouant le rôle du chevalier vertueux, Paul entraîne Claudine vers la sortie où ils retrouvent Nora en discussion avec un ouvrier. Ils ressortent au soleil. La voiture et son chauffeur sont là, et bien vite, ils se faufilent dans les rues d’Alexandrie. Ça coince de partout. Personne ne s’énerve. Tout le monde klaxonne. Mais Paul fait remarquer : Ce n’est pas le coup de klaxon européen, violent et discourtois, mais une sorte de « tut ! » qui signifie – fait gaffe, je passe ! – Ce qui apparaît étrange dans ce pays de grande gentillesse, c’est que les  piétons traversent toujours à leurs risques et périls. Une voiture égyptienne ne s’arrête jamais pour laisser passer un piéton, que ce soit un jeune dynamique, ou un vieux poussif.

Dans un quartier périphérique, ils s’arrêtent pour visiter une mosquée. Deux entrées, la petite sur le coté pour les femmes, la grande en façade pour l’Homme. Encore un magnifique lieu de calme et de paix. Un iman vient à la rencontre de Paul pour le saluer et lui serrer la main. Accueil chaleureux et courtois dans ce lieu où certains prient et où d’autres dorment. Paul aperçois Claudine et Nora derrière la petite barrière qui sépare les hommes et les femmes. À la sortie, une autre personne tend les chaussures que Paul avait bien sûr quitté à l’entrée. Ils échangent quelques mots, lui dans sa langue, Paul dans la sienne. Ils ne se comprennent pas, mais le sens des paroles est sans doute le même. Paul quitte avec une nostalgie profonde cet endroit et rejoint les femmes sur le parvis.

Ils prennent un repas rapide dans un restaurant du quartier. Nora explique ce qu’ils mangent, et décrit avec détail les recettes. Claudine explique une ou deux recettes françaises. Le moment est agréable, chargé de partage de culture et de rires. Le repas à peine terminé, ils sortent, la voiture est là et ils filent vers la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie. Imaginée au début de ce millénaire, c’est une réalisation très moderne, tournée vers l’avenir, sorte de grande coquille qui regarde vers la mer. Nora, toujours érudite, explique, commente les grandes salles de lecture. Sur les étagères, les livres classés par thèmes se côtoient dans toutes les langues, dans toutes les écritures. Une bibliothèque est-elle un symbole de paix et d’harmonie ? Sans doute. C’est aussi pour cette même raison que parfois on les brûle.

La salle des manuscrits anciens les impressionne par son contenu. Une guide spécialisée les accompagne et complète les explications de Nora. Tous les alphabets, toutes les écritures sont ici présents. Caravansérail de la transmission de la culture à travers tous les âges. Toujours dans la même enceinte, le musée archéologique, montre une dernière fois des momies, des sculptures pharaoniques. Des boites à écriture utilisées par les scribes les émeuvent. Claudine montre du doigt, elle voudrait les toucher. Ces instruments de la deuxième dynastie, ont plus de 5000 ans d’histoire. Ils marchent plus doucement à la fin de cette visite. À petits pas, ils prennent conscience que c’est leur dernière visite guidée en Égypte.

Retour à l’hôtel, sieste et ballade de fin d’après-midi, sans oublier la rédaction d’une pile de cartes postales suffisantes pour assurer la rentabilité de la poste égyptienne. Repas dans la grande salle de restaurant. Ils sont seuls, tous les serveurs sont là. Impression d’un repas à deux dans la galerie des glaces à Versailles, ce n’est plus de l’intimité, c’est de l’exhibitionnisme ! Claudine et Paul sont mal à l’aise. Aujourd’hui, ils ne prennent pas de café, ils regagnent vite leur chambre.

Après une douche bienfaisante, fatigués ils se lovent l’un contre l’autre. Claudine embrasse le bout des doigts de Paul :

- C’était bien ce matin.

En guise de réponse, Paul lui caresse la joue et le cou. Ainsi ils s’endorment.