Atelier d’écriture UTA-Lyon animé par Jean-Marc Talpin
Je l’ai bien feuilleté ce joli catalogue. Au fil des pages, je cherchais une activité pour remettre en émoi mes vielles cellules cérébrales. Rubrique «ateliers ». Tiens, ils font aussi du bricolage à l’UTA ? Atelier d’écriture. Qu’est-ce que cela ? Au fil de la plume. Là, c’est intéressant. J’ai déjà la plume, pas besoin d’investir en outillage.
Écrire, oui, tiens, pourquoi pas ? J’ai beaucoup écrit durant ma vie professionnelle, mais seulement pour mes supports de cours. Mais là, écrire pour le plaisir d’écrire, pour laisser une trace et partager ce bonheur avec d’autres. Aller, j’y vais !
La journée d’inscription, je suis là. En face, autour de moi, une bande de jeunes retraitées qui clament :
- je veux me réinscrire !
– j’étais là l’année dernière, j’ai priorité !
J’ai cru un instant que l’animateur allait se laisser déborder. Mais il avait sans doute lu et pratiqué la sagesse des philosophes grecs. Il résistait à l’hybris et respectait le diké, en ayant pris à son compte la devise du temple d’Apollon : « Connais-toi toi-même ». La démocratie étant faite de débats, il les a laissés s’établir puis s’apaiser. Profitant d’une accalmie verbale, il a rappelé la limite : 15 personnes. Il a donc fait passer 15 fiches d’inscriptions. Nous étions environ 20 entassés dans cette salle. Une petite foire d’empoigne et chacune de mes voisines (des anciennes) a pris une fiche. Une fiche vierge est passée devant moi, je l’ai saisie comme un trésor. J’ai écrit mon nom, j’ai fait le chèque correspondant, ouf c’est gagné je suis le quinzième ! Et cela bien sûr sans me soucier le moins du monde de ceux qui n’avaient pas eu de fiche. Je suis d’un caractère généreux, mais quand même !
Première journée. De suite, je me sens l’intrus. Je suis dans une volière de gamines de mon âge (ou presque). Bonjour, tu as passé de bonnes vacances ? Comment vont les petits ? Et toi ta sciatique ? J’avoue que j’était un peu intimidé. J’entrais dans une nouvelle famille, à moi d’y trouver ma place. En les regardant, une à une et dans leur ensemble, je su que j’avais fait le bon choix. Un autre homme, intimidé comme moi écoutait les explications de l’animateur qui manifestement avait l’habitude.
Ma voisine, au prénom de reine capétienne, amicale, m’a expliqué en douce le fonctionnement du groupe, ses habitudes et ses manières de faire. Au bout de la table, j’ai vu que l’autre homme était comme moi un peu perplexe. Cela m’a rassuré, de je ne sais quoi d’ailleurs ! Très vite je me suis senti bien. Chacune a retrouvé son espace de travail. Étalement de son cahier ou de son bloc-notes. Trousse d’écolier ou plumier avec le nécessaire et le superflu.
Jean-Marc le chef de cet orchestre scriptural lève sa baguette et donne la première consigne :
- Écrivez un mot que vous avez en tête, ouvrez le, et dite ce que l’on trouve dedans.
J’avais à ce moment là, une chanson de Félix Leclerc en tête. J’ai écrit le mot « bonheur ». Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi ce mot. C’est l’ambiance et l’accueil qui me l’ont imposé. La consigne annoncée, quelques courts échanges, puis le silence. Silence propice à la réflexion. Silence fait de petits bruits de la feuille que l’on tourne, de la plume qui grince sur le papier. Chut, nous sommes sur notre planète écriture.
Je soulève une paupière pour remarquer toute l’application qui est mise dans les gestes, dans les respirations qui s’accélèrent au rythme de l’émotion que les mots apportent. Tout en laissant glisser ma plume, d’un œil curieux je regarde mes complices :
§ Il y a celles qui écrivent droite devant leur feuille. Celles qui sont penchées sur l’écriture comme si leurs yeux participaient à la trace sur le papier.
§ Il y a celles qui écrivent à l’encre, d’autres au stylo bille. Certaines plus prudentes ont adopté le crayon à papier. Le crayon dans la main droite, gomme dans la main gauche. Celles là n’aiment pas les ratures !
§ Il ya celles qui écrivent en continu.
§ Il y a celles qui écrivent par saccades.
§ Il y a celles qui restent un instant le crayon levé dans l’attente du mot, d’une phrase, d’une inspiration.
§ Il y a celle qui cherche son mot juste dans son dictionnaire de synonymes par souci de perfection.
§ Il ya celle qui s’arrête d’écrire et relit son texte pour assurer sa cohérence.
§ Il y a celle qui de sa main gauche cache son écrit de peur d’être copiée.
§ Il y a celle qui écrit des contes pleins de couleur.
§ Il y a celle pense à sa dernière œuvre de peinture.
§ Il ya celle qui met ses lunettes pour écrire.
§ Il y a celle qui quitte ses lunettes pour écrire.
§ Il y a celle qui comme par défit écrit tournée sur le coté.
§ Il y celles qui lèvent la tête pour aller chercher dans leur espace visuel les images et les mots qui garderont leurs pensées sur la feuille blanche.
§ Il y a celles qui écoutent les mots, le regard fixe, avant de les déposer sur le papier.
§ Il y a celles qui baissent la tête dans une recherche introspective des sentiments qui méritent d’être exprimés et offerts par l’écrit.
§ Il y a cette douce sérénité d’un moment personnel, appliqué et partagé par cette complicité silencieuse de l’écriture collective.
Et puis, il y a moi qui vis avec alacrité ce moment d’évasion qui laisse aller les mots comme un fluide enivrant ou comme des lutins qui dansent et se posent sur le papier. Purge cérébrale, l’écriture devient par moment un exutoire.
Puis quand les plumes commencent les unes après les autres à se lever, il y a l’animateur, qui jamais directif, fait passer sa petite troupe par où il avait programmé le chemin.
Deuxième partie : Séance d’écoute et de lecture publique. Dilemme, je me lance, je ne me lance pas ?
Il y a celles et ceux qui en ont très envie.
Il y a celles et ceux qui se disent pourquoi pas.
Il ya celles et ceux qui n’osent pas.
J’écoute les mots des autres, je saisis ce qui est commun, ce qui est partagé. Je saisis nos différences. Tiens, je n’ai pas pensé à cela ! Parfois, j’ai même envie de voler une phrase, une expression dans le regret ou le remord de ne pas en avoir eu l’idée.
Et puis les commentaires viennent, toujours courtois et positifs. Chacun d’entre nous a son style, son émotion, donc son écriture. Quel âge avons-nous autour de cette table ? Sommes-nous des enfants ou des grands-parents ? Seulement quelques personnes libres de s’offrir une parenthèse de vie, de modifier un instant un bout de leur destin. Il n’y a pas d’âge pour se donner le plaisir d’écrire. Pourquoi ne l’ai-je pas rencontré plus tôt ? Quel bonheur de l’avoir rencontré avant qu’il ne soit trop tard.
Quel malheur. Quel malheur les vacances approchent. Il va nous falloir ranger nos plumes, nos crayons, nos papiers. Vivement la rentrée ! Merci à toutes et à tous de m’avoir prêté votre talent.